Avec Vaisseau Familles, le collectif Marthe s’attaque à une notion complexe : la famille. Le concept qui remonte au néolithique s’inscrit comme un microcosme, simultanément espace de réconfort et de troubles, il est généralement le point d’orgue de nos constructions individuelles et collectives. Dans un mélange de sororité, d’Histoire et d’imaginaires, depuis son propre vaisseau, un lit central, le collectif tente de repenser la famille
Acté par une adresse directe au public, la pièce commence avec une constatation : il existe autant de schéma familiaux que d’individus. « Famille », une sémantique d’ores et déjà restrictive. À travers leurs lectures et recherches documentaires, le public embarque dans un voyage didactique. Rapidement, la dynamique amicale où les conversations fusent se délite en un véritable panorama historique qui explore diverses formes d’organisation familiale au fil des siècles. De la maisonnée médiévale, aux foyers rigides du XIXe siècle, jusqu’à la famille nucléaire des années 90, ce voyage porte un point de vue critique, politique et intime, interrogeant les formes conventionnelles de la famille tout en témoignant d’expériences personnelles.
Un détour vers le monde animal prolonge le voyage au sein d’un nid de termites. Cette perspective animale suggère une autre conception de la famille décentralisée de l’humain, se concentrant autour d’une description fleuve du rôle de la reine des termites. Une reine qui dévore, viole pour produire sans cesse des œufs, jusqu’à sa propre mort. Malgré cette mise en scène visuellement forte, la proposition place l’audience dans un état entre interrogation et malaise. Car même si une comédienne pointe du doigt le regard humain apporté à cette description animale, cela ne s’arrête pas pour autant.
Avec virtuosité, les quatre comédiennes incarnent différents rôles qui traversent habilement le temps et l’espace. Tout en faisant références aux politiques de notre société contemporaine – la peur constante de la soumission chimique faite par tout un chacun, la masculinité toxique du président américain récemment réélu, tout en passant par les notions de charge mentale et celle du soin, le collectif dénonce tout en laissant une place importante à l’humour et à la légèreté. En effet, les caricatures de certains personnages permettent de souligner le récit tout en le rendant ironique. D’un père qui ne cesse de filmer et de cristalliser sur pellicule sa petite famille, à une mère rigide et autoritaire dont le panier de robe est apparent, les rôles familiaux sont disséqués et tournés en dérision.
Le récit de la pièce oscille entre rigueur documentaire et liberté d’une fiction théâtrale. Malgré d’intelligents choix de scénographie et une pluralité parlante de costumes, le propos plane au-dessus du sujet : la fiction ne parvient pas à détacher la pièce de son caractère didactique.
Réinventer pour dépasser et déployer nos galaxies familiales : voilà un projet bien complexe. Effectivement, si la remise en question de la notion de « famille » est abordée, les horizons restent faibles. La fin se profile comme le dessein poétique d’un foyer repensé par l’amitié et la sororité. Le lit devient joliment un vaisseau des mers, transportant une famille, une autre, celle de ces quatre amies. Cette résolution, aussi belle soit-elle dans son intention, laisse le public dubitatif, frôlant un réconfort facile. Tandis que l’adelphité, touchante et sincère, dont nous parle une comédienne, ne demandait qu’à être approfondie.
Naviguant à vue entre un théâtre conférence et une fiction utopique, le Collectif Marthe a manqué un parti pris qui aurait pu être passionnant. La pièce ne dépasse pas l’élitisme de cette notion de famille et ne se plonge pas dans le marasme financier, sociétal et relationnel qu’elle implique. Dans une possible suite, le vaisseau créatif que s’est construit le collectif, et qui se dessine à l’ouverture et à la clôture de la pièce, ne demande qu’à être développé pour nous offrir horizons, réflexions et futurs radieux.
Visuel : ©Jean-Louis Fernandez
Au Théâtre de la Bastille du 27 mars au 10 avril : réservations.
Mise en scène, jeu et écriture : Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Aurélia Lüscher et Itto Mehdaoui