Le 25 juin 2024, la Cité de la Musique de Paris accueille les Arts Florissants. Sous la direction de William Christie sont interprétés des « Airs sérieux et à boire » composés notamment par Michel Lambert et François Couperin.
«Des Airs sérieux et à boire»: le titre de ce concert mérite explications. Les airs de cour existent dans la tradition musicale française depuis la fin de la renaissance. Au 17ème siècle, ce genre musical s’est enrichi par l’arrivée du clavecin et l’essor de la poésie dans les salons aristocratiques. Les poètes voulaient que leurs poèmes, dédiés à la passion et aux tourments amoureux, soient mis en musique. Ainsi sont nés «les Airs Sérieux». Les «Airs à boire» sont des contre façons populaires, des parodies d’airs d’opéras célèbres comme Médée de Marc Antoine Charpentier et Circé d’Henry Desmarest.
Une fois de plus, les Arts Florissants nous propose de découvrir cet immense patrimoine baroque. Ce soir l’orchestre est composé de deux violons, une viole de gambe, un luth et un clavecin. Le claveciniste n’est «autre» que William Christie, le fondateur, en 1979, des Arts Florissants. L’orchestre de chambre met en valeur la sérénité, l’élégance, la subtilité de la musique baroque française. Les Airs sérieux débutent souvent par une longue introduction orchestrale qui donne le ton des émotions amoureuses exprimées ensuite par les chanteurs. Le clavecin, le luth et la viole de gambe les accompagnent pour former une basse continue qui apporte un calme paisible, comme un contrepoids aux émotions des chanteurs. L’orchestre joue seul la Suite en sol de Marin Marais. Une musique joyeuse et élégante évoquant une fête galante mais qui sait aussi exprimer tristesse et tendresse comme dans le très bel adagio, La Plainte.
François Couperin a aussi écrit des Airs sérieux comme Brunette, « Zephir, modère en ces lieux » où s’exprime tout le talent de la soprano Emmanuelle de Negri, tour à tour lyrique, séductrice, coquine aussi. Mais ce concert laisse surtout la place à un compositeur moins connu, Michel Lambert dont nous entendrons dix Airs qui sont autant de chansons d’amour. Grâce au surtitrage, l’auditeur pourra s’imprégner aussi de la beauté des poèmes mis en musique. Michel Lambert (1610-1096) était maître de chant, théorbiste et compositeur. Très apprécié par l’aristocratie, il composa de nombreux airs sérieux dont certains sont des chefs d’œuvre.
«Par mes chants tristes et touchants» est un chant d’amour, beau et triste à la fois. Le ténor Cyril Auvity nous offre un duo très émouvant avec le luthiste Thomas Dunford. La chaude voix du ténor, toute en retenue, se marie à merveille avec la douceur du luth. Sombres déserts, retraite de la nuit débute par un duo entre Cyril Auvity et Myriam Rignol à la viole de gambe. Un duo tout en douceur, la voix du ténor est suave. Mais le chant devient dramatique. A genoux le chanteur exprime son désespoir dans une musique à la beauté tragique, «car il ne vient que pour mourir». La dimension dramatique s’impose dans Ombre de mon amant. Accompagné du seul luth le chant d’amour de la mezzo soprano Anna Reinhold est envoûtant. Mais elle se meurt littéralement d’amour, sa voix, sa mimique, son expression corporelle expriment une souffrance amoureuse intense.
«Oh mort, oh mort , affreuse mort, l’auteur des plus beaux airs vient de perdre la vie». Jacques Dubuisson pleure ainsi son ami Michel Lambert. C’est la très belle voix de basse de Lisandro Abadie qui chante cet hommage au compositeur aimé.
Changement d’ambiance, voilà les Airs à boire. François Couperin n’a pas dénié cette musique comme dans Trois vestales champêtres, et trois poliçons… armés de trois bilboquets. La musique claque, surprend, c’est très drôle, très coquin aussi . Comme les parodies des opéras Médée et Circé issues des Parodies bachiques. Le nom n’est pas trompeur. La musique est enlevée, rapide, joyeuse, les rires fusent et le vin règne en maître. Les paroles sont claires: «De ce doux breuvage parbleu du boiras», «au cabaret rions et chantons». Il s’agit de faire la fête malgré tout, de boire, d’aimer malgré la guerre. De quoi assurer une fin réjouissante à ce concert. Un concert mémorable par la découverte de pans entiers du patrimoine baroque français, par la beauté de la musique, la qualité de l’interprétation.
Visuel(c) : JMC