À l’époque où les séries portaient encore le nom de « feuilletons », dès que résonnait l’indicatif emblématique, on se précipitait devant le petit écran pour suivre Robin des Bois, les Agents très Spéciaux, le Saint, les Mystères de l’Ouest ou le Prisonnier. Une époque bénie où ni replay ni YouTube n’existaient encore. Trois compositeurs ont marqué l’histoire avec des morceaux et génériques que les nouvelles générations reconnaissent toujours aujourd’hui : Henri Mancini avec Pink Panther, Monty Norman avec James Bond, et Lalo Schifrin avec Mission Impossible. Ce dernier vient de nous quitter, offrant l’occasion parfaite de redécouvrir qu’il a créé bien plus que ce célèbre « Ta-Ta-Tin-Tin-Tin… »
Né à Buenos Aires dans un univers entièrement musical, il grandit auprès de son père Luis Schifrin, premier violon et chef de l’orchestre philharmonique de l’opéra de Buenos Aires. Naturellement, il étudie le piano avec Enrique Barenboim, père du futur chef d’orchestre Daniel. Très tôt, il développe une passion secrète pour le cinéma, et plus particulièrement pour les musiques de films. Il découvre également le tango et le jazz :
« J’achetais en contrebande des 78 tours de Charlie Parker ou Thelonious Monk, se souvient Schifrin. Le bebop me fascinait. C’était la musique de la modernité et de l’interdit. »
À l’adolescence, il suit des cours particuliers de composition avec Juan Carlos Paz. Toutes les bases sont désormais posées.
Admis au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris en 1952, il mène une double vie : travaillant aux côtés d’Olivier Messiaen le jour, il anime les clubs de jazz de Saint-Germain la nuit. Il y découvre également le cinéma français.
Sa rencontre avec Eddy Barclay, jazzman reconnu, s’avère déterminante en lui permettant d’enregistrer chez RCA.
De retour en Argentine, il est contacté par Dizzy Gillespie, avec qui il collabore jusqu’en 1962. Il compose pour lui, en 1960, « Gillespiana », œuvre nommée aux Grammy Awards. Clarence Avant, son équivalent américain d’Eddy Barclay, lui ouvre les portes des arrangements pour Stan Getz, Count Basie, Sarah Vaughan et bien d’autres.
Une nouvelle rencontre déterminante survient avec Arnold Maxim, président de MGM Records, qui le recommande à René Clément pour composer la musique du film « Les Félins ». Sa maîtrise de la langue française constitue un atout précieux.
 
« J’avais en moi un ressort, résume le compositeur. Et René Clément m’a permis de révéler ce potentiel, de marier musique symphonique, jazz et électronique. Si l’on compare ma carrière cinématographique à une maison, Les Félins en constituent les fondations. »
La construction s’accélère rapidement. À partir de 1965, Lalo Schifrin signe plus de cent musiques de films et près de quatre-vingt-dix musiques de séries télévisées et téléfilms. Parmi ses œuvres marquantes : « Bullitt », « L’Inspecteur Harry », « Luke la main froide », « Opération Dragon », le film culte de Bruce Lee.
Seule exception notable : pour « L’Exorciste », les producteurs lui préfèrent un jeune compositeur anglais, Mike Oldfield.
Côté séries, outre « Mission Impossible », il compose pour « Starsky et Hutch », « La Planète des singes », « Mannix ».
À propos du thème devenu légendaire de « Mission Impossible », il le décrit ainsi : « C’est un mélange de jazz et de boogie-woogie, un 5/4, avec également des influences de musique latine, grâce aux bongos et aux claves. » Il évoque son écriture à la fois tonale et atonale, ainsi que l’influence d’Olivier Messiaen dans ses compositions pour la série, notamment dans l’un des thèmes utilisant les modes à transposition limitée de son maître.
Musique classique et contemporaine, musique latino, jazz, musique électronique… Lalo Schifrin s’est montré avide d’explorer une multitude de styles pour les faire cohabiter harmonieusement dans ses créations, faisant de lui un artiste unique dans le paysage musical. Les sept opus de « Jazz Meets the Symphony » constituent aujourd’hui une référence incontournable, tout comme les douze albums qu’il a composés.
Alors, une nouvelle fois, ressortez vos platines et savourez « Mission Impossible… And More! – (The Best of Lalo Schifrin 1962-1972) » ou « Black Widow ».