Après Le Deuxième Acte, film d’ouverture au Festival de Cannes en 2024, Quentin Dupieux est (déjà) de retour dans les salles obscures avec L’Accident de Piano, son quatorzième long métrage.
Par Camille Griner
L’Oizo libre et terrible du cinéma français ne s’arrête décidément plus. Continuant sur sa folle lancée créative – neuf films en à peine sept ans -, Quentin Dupieux met une nouvelle pierre à l’édifice de son œuvre inclassable et surréaliste avec L’Accident de Piano. Tourné en Haute-Savoie, dans des décors qui rappellent malgré eux Fargo (1996) des frères Coen, le dernier né du réalisateur nous conte les (més)aventures de Magalie (Adèle Exarchopoulos), aka « Magaloche », star du web lunaire et amorale multimillionnaire qui poste des contenus choquants sur les réseaux sociaux. Après un accident grave survenu sur le tournage d’une de ses vidéos, Magalie s’isole à la montagne avec Patrick (Jérôme Commandeur), son assistant personnel, pour faire un break. Mais entre une journaliste (Sandrine Kiberlain) détentrice d’une information top secrète encline au chantage et un villageois (Karim Leklou) harceleur et névrosé fanatique de la jeune femme, la retraite de Magalie n’est décidément pas de tout repos.
Ne dérogeant pas à ses propres règles, le réalisateur livre une nouvelle fable aussi inattendue que farfelue boostée, comme ses derniers opus, par un casting cinq étoiles qui lui permettra sans doute, à l’instar de Yannick (2023), Daaaaaali ! (2023) et Le Deuxième Acte (2024), d’attirer les foules. Et si le film se révèle d’une étrangeté féroce et jouissive, il est également l’un des plus accessibles de la filmographie foisonnante de Dupieux. Poursuivant sa quête de déconstruction du réel par le biais de situations incongrues, de personnages inamicaux et d’humour noir, le cinéaste s’attaque cette fois-ci aux influenceurs et aux réseaux sociaux. Attention, ça pique.
La monstruosité de cette implacable ère 2.0, où les vues et les « j’aime » sont rois, prend dans le film la forme de l’antipathique Magalie, née insensible à la douleur et narcissique puissance mille. Obnubilée par l’argent, la jeune femme au sourire d’acier se fait mutiler sans sourciller avec les pires engins imaginables (de l’eau bouillante à la machine à coudre, en passant par un camion qui lui roule littéralement dessus) pour le plus grand plaisir de ses fans, et de son portefeuille. Nourrie uniquement aux yaourts pour conserver un squelette à l’épreuve des chocs, Magalie ne rate pas une occasion d’abuser de son agressivité verbale et de ses sarcasmes gratuits pour mettre quiconque plus bas que terre. Seul le cadavre d’un corbeau en début de film semble lui procurer une once d’émotion, bien vite balayée ceci dit. Impeccablement campée par Adèle Exarchopoulos, dont le potentiel comique est décidément immense, cette anti héroïne insupportable nous ferait presque oublier la prestation déjà hors sol de la comédienne dans Mandibules (2021).
Satire impitoyable aux curseurs tunés à l’extrême, qui n’est pas sans rappeler le génialissime Sick of Myself (2022) de Kristoffer Borgli, L’Accident de Piano va pourtant plus loin que le simple constat de recherche constante de validation des vedettes d’Internet. La vérité qui émane du film est tout autre, et bien plus grinçante. Si Quentin Dupieux prend un malin plaisir à tirer à vannes réelles sur notre société gangrénée par la bêtise, le monde de l’influence et la course aux likes, il n’hésite pas non plus à se moquer de lui-même. En effet, lorsqu’à la dérobée d’une réplique, Dupieux explique qu’un artiste est, grosso modo, quelqu’un travaillant souvent sans effort, c’est bien lui-même qu’il tacle avec un humour ravageur. Lui qui a pris pour habitude de réaliser chaque année un long métrage, voire deux, ironise sur sa propre méthode de confection de films. Ce qui risque bien d’agacer ses plus fidèles détracteurs. Par ailleurs, Quentin Dupieux pique également les journalistes et leur volonté sans faille à recueillir des justifications de la part des artistes sur leurs œuvres. Exercices avec lesquels le cinéaste semble s’amuser à chaque promo’ d’un de ses films, et dont Télérama a à nouveau fait les frais récemment. Sourire cynique mais pas moins charmant, Quentin Dupieux livre avec L’Accident de Piano l’un de ses longs métrages récents les plus aboutis et réussis, où l’étirement de chaque action jusqu’à la rupture et les faits et dires de ses protagonistes loufoques nous laissent aussi interloqués qu’ébaubis.
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