La Scène nationale d’Annecy accueille le dernier volet de la trilogie de Johanne Humblet, amorcée par Résiste en 2019 et continuée en 2021 par Respire.
Une salle plongée dans le noir. Un rai de lumière qui, progressivement, surplombe les spectateurs. Les yeux se dessillent : ce faisceau lumineux provient d’une roue qui s’éclaire lentement, avant de laisser apercevoir une jeune femme (Marica Marinoni, en alternance avec Noa Aubry) qui marche continûment dans cet étrange agrès. Prisonnière de cette cage roulante à la manière d’un hamster, elle mettra du temps avant de changer d’axe et de rythme.
La clarté progressive rend bientôt visible un filet d’acrobate. Pendu à la verticale plutôt qu’à l’horizontale, il nous barre la scène à la manière des barreaux d’une prison. Qu’il disparaisse : c’est une autre fragmentation de l’espace qui se fait jour, verticale elle aussi. Le fil de la funambule découpe deux zones bien distinctes, reliées seulement par le balancier de la fil-de-fériste. Lequel, à son tour, vient diviser la scène. Cet enfermement à tiroirs, qui cloître les gens autant qu’il les atomise, est au cœur de la dramaturgie de Johanne Humblet : c’est contre cet univers carcéral qu’il s’agira de se révolter.
La musique sera, pour ces femmes qui voisinent l’une avec l’autre sans pour autant cohabiter, l’instrument de la libération. Passant d’airs lancinants à des moments plus rock, c’est elle qui donne le « la ». Créée par Jean-Baptiste Fretray, elle rythme les corps autant que les lumières, dont les éclairs semblent répondre aux fulgurances musicales. Nous passons d’un univers sonore à l’autre avec douceur ou brutalité, en fonction des moments et des enjeux dramaturgiques. Les acrobates se battent ou s’étreignent, s’ignorent ou s’enlacent, affirmant le pouvoir subversif des corps quand ils sont plusieurs.
Cette pluralité est une part importante de la distribution : les musiciennes (Annelies Jonkers et Fanny Aquaron) jouent à vue, en fond de scène, comme un chœur antique accompagnant et commentant les actions des protagonistes. Du côté des circassiennes, les duos succèdent aux soli, tandis que le corps de la danseuse aérienne Violaine Garros semble prolonger celui de Johanne Humblet. A d’autres moments, tournée vers l’avant en des gestes résolus, cette dernière marque avec fermeté la violence de sa révolte.
Ces « tentatives de l’échec » ou de la révolte se suivent ou s’opposent tout au long du spectacle et convient le spectateur à ces sursauts. Le travail collectif de la musique et des corps qui se libèrent des agrès fonctionne et construit un spectacle multiple, qui tient autant du concert que du cirque.
Révolte ou tentatives de l’échec, Les filles du renard pâle, Bonlieu – Scène nationale d’Annecy
Visuel : ©Kalimba