Larry Grenadier (contrebassiste) et Chris Potter (saxophoniste) se produisent ensemble sur scène dans un quartet de rêve, accompagné de Gonzalo Rubalcaba au piano et d’Eric Harland à la batterie. lls se livrent à des réflexions sur le jazz, l’amour et les émotions. En guise de questions, nous avons choisi des standards de jazz (compositions emblématiques que les musiciens interprètent fréquemment lors des jam sessions.)
Chris : Nous avons joué plusieurs soirs au Dizzy’s club de New-York pour faire naître ce quartet il y a environ deux ans et demi. L’album qui va sortir en juillet est un enregistrement en live d’un des soirs au Dizzy’s. Il ne correspond plus exactement à ce que nous faisons ici sur scène . En jazz, chaque moment est différent, chaque album est unique. Il ne dépend pas que de la musique que l’on joue mais également des humains que nous sommes : si on a bien dormi, si on est en forme, etc…
Larry : Le jazz est une musique de l’instant, comme une conversation. Pour ce quartet, nous jouons une composition de chacun d’entre nous et quelques standards.
Larry : Oui, on se connaît tous depuis de nombreuses années . Chris et moi, nous nous sommes rencontrés au début des années 90 et nous sommes devenus proches. Eric, depuis un peu moins longtemps, mais tout de même 20 ans. Gonzalo est un nouvel ami. Je n’avais joué avec lui qu’une fois auparavant, sur un album avec le saxophoniste Will Vinson.
Chris : Avec Gonzalo, nous avons fait quelques « gigs » avec Dave Holland et Eric Harland mais Gonzalo Rubalcaba est celui avec qui j’ai joué le moins. J’ai toujours été un fan. Je suis très heureux d’avoir la chance de partir en tournée avec un si grand musicien. C’est un peu le leader du groupe, même si personne ne le dit. Il est très intelligent.
Larry : Le problème aujourd’hui est le manque d’émotions dans l’art en général, pas uniquement en jazz. C’est très paradoxal car avec les réseaux sociaux, on a la sensation que chacun peut s’exprimer publiquement plus librement. Mais tout est basé sur l’image, il en résulte un manque d’individualisme, de reliefs, de personnalité. Et cela se répercute dans le jazz. Le point positif est que tout a débuté à la Nouvelle-Orléans, et aujourd’hui, le jazz est présent partout dans le monde. Chaque musicien peut y ajouter son propre style, issu de sa culture, ce qui contribue à enrichir et diversifier le genre.
Larry : On a joué avec des musiciens de légende, aux personnalités très singulières. (Chris Potter a par exemple partagé la scène avec Dave Holland, Brad Mehldau, Herbie Hancock ; Larry Grenadier a joué, entre autres, avec Stan Getz, Pat Metheny, John Scofield, etc… ). On essaie de maintenir cela dans ce que nous faisons.
Chris : C’est un mélange entre la maîtrise de la musique qui permet de jouer quelque chose de compliqué si on le souhaite, un joli son, et la connexion entre les musiciens. Lorsqu’on écoute des artistes comme Louis Armstrong, Charlie Parker, Duke Ellington, Albert Ayler ou Weather Report, on les classe tous dans le genre jazz. Cependant, leurs styles sont très variés. Bien qu’il soit difficile de définir précisément le jazz, il existe un esprit commun, une approche, qui transcende ces différences. Ce qui importe véritablement, c’est la place accordée à l’improvisation, ainsi que l’interaction et l’énergie qui s’instaurent entre les musiciens.
Larry : Malheureusement, cet aspect n’est pas enseigné à l’école. Il y a quarante ans, le jazz s’apprenait par l’échange et le partage, plutôt que dans un cadre institutionnel.
Chris : C’est également important de garder les liens intergénérationnels pour la transmission de la musique : Miles Davis a eu cela avec Charlie Parker, j’ai eu la chance de jouer avec Dave Holland par exemple.
Chris : Nous avons tous les deux des enfants qui ne souhaitent pas devenir musiciens et il n’y a pas de problème avec ça. La première chose à intégrer c’est qu’il faut bien maîtriser son instrument pour commencer : la technique, le son et la culture du jazz. Être musicien nécessite également des compétences sociales pour interagir efficacement avec autrui.
Larry : Nous enseignons tous les deux la musique et nous sommes entourés de jeunes étudiants qui veulent devenir musiciens professionnels. Même si je n’aime pas le cadre institutionnel, les écoles de jazz permettent aux jeunes de pratiquer leur instrument ensemble, de se stimuler, de s’écouter et de partager leur passion. Ce qui est important ce n’est pas forcément ce que le professeur dit mais c’est l’échange. Cela reste cependant un grand défi de devenir un artiste avec une personnalité forte dans une école de jazz.
Larry : Vous n’avez pas besoin de vivre dans la rue sans argent pour éprouver des problèmes qui pourraient vous aider à grandir en tant qu’être humain. La souffrance est ailleurs. Je n’ai pas grandi dans la pauvreté, mais j’espère avoir eu suffisamment d’expériences pour en tirer des leçons et les intégrer d’une manière ou d’une autre dans ma musique.
Chris : Qui ne souffre pas ? L’important c’est l’empathie. Vous devez être capable de ressentir les sentiments des autres pour faire de la bonne musique.
Chris : L’amour est la raison pour laquelle nous jouons de la musique. Et cela ne s’apprend pas à l’école mais par soi-même. C’est un mystère, c’est une vibration qui nous touche nous-même et les autres.
Larry : Les mots ne répondent pas forcément à cette question mais transmettre des émotions à travers la musique est une forme d’empathie et donc d’amour.
Larry : il y a plusieurs façon d’apprendre et de ressentir la musique. Certains sont très mathématiciens, académiciens. Brad Mehldau est à la fois un musicien qui a énormément de connaissances harmoniques et théoriques mais également un rapport très organique à la musique.
Chris : Parfois, passer par l’écrit peut permettre de mémoriser des choses qui auraient été beaucoup plus longues à intégrer uniquement par l’écoute. Mais la musique est avant tout une question de son et d’émotions qu’elle suscite, bien plus que de ce qui est noté sur une partition. L’harmonie peut nous aider à comprendre comment passer d’un accord à un autre, mais les règles ne sont définies que par l’impact émotionnel qu’elles engendrent. En fin de compte, l’essence de la musique est essentiellement émotionnelle.
Larry : Ce qui est fascinant en tant que musicien, surtout dans le jazz, c’est la possibilité pour chaque individu de faire ressortir sa personnalité. J’ai entendu un musicien dire un jour : «Je m’entraîne chaque jour pour pouvoir créer ce son unique que seul moi peux produire », et c’est tout à fait vrai. Ainsi, il n’existera jamais un autre «toi». Une fois que l’on maîtrise son instrument et que l’on y ajoute sa touche personnelle et ses propres idées, on voit les choses d’une perspective qui nous est propre, ce qui est vraiment intéressant.
Le concert de jazz sous les pommiers est notre cinquième. Nous avons joué en Italie, aux Pays-bas, demain nous allons jouer au Ronnie Scott (club de jazz londonien). Pour l’instant, nous n’en avons pas d’autres de prévus.
Ils étaient en concert à Jazz sous les Pommiers le jeudi 29 mai 2025. Leur single « Con Alma » est sorti le 2 juin 2025. Leur album Live at Dizzy’s Club sortira en juillet 2025.
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