Deux romans de Clarice Lispector : « La Passion selon G. H. » et « Água viva »

par Julien Coquet
05.05.2025

Les éditions des femmes-Antoinette Fouque réalisent un travail important pour faire découvrir l’œuvre de l’autrice brésilienne Clarice Lispector, notamment en ayant publié récemment Água viva. Le Livre de poche reprend d’ailleurs la traduction de La Passion selon G. H. parue en 2020 aux éditions des femmes-Antoinette Fouque. Deux lectures pour lecteurs et lectrices averti.e.s.

La Passion selon G. H. : La Métamorphose

La sculptrice brésilienne G. H., dont on ne connaîtra jamais le véritable patronyme, se retrouve satisfaite de pouvoir elle-même mettre de l’ordre chez elle, après que sa bonne lui a donné son congé. Mais alors qu’elle inspecte la chambre de son ancienne employée de maison, G. H. tombe sur une blatte dont la rencontre va provoquer un bouleversement, presque une épiphanie. Là où la vie de Jonathan Noel se retrouvait chamboulée par un pigeon dans Le Pigeon de Patrick Süskind, c’est ici une simple blatte qui remet en cause le parcours de la sculptrice. « Ecoute, je vais devoir parler parce que je ne sais que faire d’avoir vécu cela. » Effrayée d’abord par sa découverte (« mon cœur blanchit comme blanchissent les cheveux »), G. H. se livre à une introspection qui tendra vers le mysticisme et la révélation divine. L’infiniment petit de la blatte renferme l’infiniment grand du monde (« En la regardant, je voyais l’immensité du désert de Libye, dans les environs d’Elschele »), conduisant la narratrice vers une « transmutation de moi en moi-même », avant d’atteindre l’apothéose finale, la joie. Publié au Brésil en 1964, La Passion selon G.H. est un livre mystique sans Dieu, un roman sur le quotidien sans banalité.

Água viva : Captation du présent

Água viva, publié en 1973, s’aborde différemment. Comme le remarque Didier Lamaison dans son avertissement à La Passion selon G. H. : « L’écriture de C. Lispector est incroyablement protéiforme. On ne traduit pas, par exemple, Água viva, soumis généralement à une esthétique de la suggestion, comme on doit le faire de La Passion selon G. H., qui obéit à une éthique de la précision. » Dès les premières pages, Clarice Lispector admet que « ceci n’est pas un livre parce que ce n’est pas ainsi qu’on écrit ». Véritable flux de conscience (Lispector avoue pour autant ne pas connaître l’œuvre de Virginia Woolf), Água viva décrit l’instant, le présent, le moment (« Mon thème est l’instant ? mon thème de vie »). Le texte s’adresse à un « tu » dont on ne parviendra jamais vraiment à découvrir l’identité (amant ? lecteur ?). Peut-être encore plus déroutant que La Passion selon G. H. puisque libéré de l’intrigue, aussi minime soit-elle, Água viva est un texte exigeant, que les éditions des femmes-Antoinette Fouque publient en version bilingue portugais-anglais. Le livre est augmenté de fac-similés du manuscrit original et d’un entretien avec l’autrice où on apprend notamment qu’elle a hésité trois ans avant de remettre le manuscrit d’Água viva à son éditeur.

La Passion selon G. H., Clarice LISPECTOR, traduit du portugais (Brésil) par Paulina Roitman et Didier Lamaison, Editions des femmes-Antoinette Fouque pour l’édition d’origine, Repris en Livre de poche, 256 pages, 8,70 €

Água viva, Clarice LISPECTOR, traduit du portugais (Brésil) par Claudia Poncioni et Izabella Borges, Editions des femmes-Antoinette Fouque, 324 pages, 20 €

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