Co-directrice du Festival Bolzano Danza / Tanz Bozen aux côtés du chorégraphe Olivier Dubois, Anouk Aspisi revient sur les enjeux de cette nouvelle direction artistique, entre rayonnement international, ancrage territorial et réalités politiques de la culture en Italie.
Je suis Anouk Aspisi, codirectrice du Festival Bolzano Danza avec Olivier Dubois, pour les trois prochaines éditions : 2025, 2026 et 2027.
L’idée était d’articuler des œuvres déjà reconnues — mais encore inédites pour le public local — avec des créations. Le festival est profondément ancré dans son territoire, et notre volonté était justement de faire circuler les pièces jusque-là. Bolzano reste un lieu relativement excentré, donc il est essentiel d’amener des propositions qui circulent ailleurs, mais qui n’auraient pas spontanément atteint cette région.
Bolzano est la capitale de la région Trentin-Haut-Adige, dans le nord de l’Italie. On se trouve entre Bressanone et Vérone, au pied des Dolomites. C’est une zone de montagne, au carrefour entre l’Autriche et la Suisse. Un lieu de passage, donc, mais où la danse contemporaine est assez faible. Il y a très peu de compagnie, mais plutôt du théâtre de répertoire.
Oui, cette année marque sa 41e édition. Pendant 14 ans, il a été dirigé par Emanuele Masi, qui a énormément fait évoluer le festival, il lui a donné un tournant vers les esthétiques contemporaines (indoor et outdoor). Il a notamment beaucoup invité de chorégraphes français, ce qui a tissé un lien fort avec la France, sans qu’il y ait pour autant de francophilie affirmée. Il faut aussi rappeler que la région est historiquement bilingue, entre italien et allemand.
Nous avons souhaité combiner des œuvres majeures en circulation cette année, en Europe et à l’international — comme Preljocaj avec la « recréation » d’Helikopter et Licht, ou encore Mette Ingvartsen, tous deux créations 2025 — avec d’autres pièces que nous avions envie de partager : Crowd de Gisèle Vienne, Encantado… Des œuvres qui sont déjà en tournée mais que le public ici n’avait pas encore pu rencontrer. Et puis il y a celles que nous rêvons de réinviter : Maguy Marin, Pina Bausch, ou d’autres grands noms de la scène chorégraphique.
Il y a entre nous une complémentarité forte. Olivier est chorégraphe, je viens d’un parcours plus institutionnel et de la médiation. J’ai programmé, accompagné des créations, travaillé sur les politiques culturelles… Ce dialogue entre l’artiste et celle qui construit le lien avec les publics me semble essentiel.
J’étais auparavant conseillère création auprès de la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak, en charge de l’ensemble de la création artistique au niveau national. Avant cela, j’ai été secrétaire générale de la Maison de la Danse à Lyon aux côtés de Dominique Hervieu. La danse a toujours été présente dans mon parcours. Originaire de Montpellier, j’ai commencé très tôt à fréquenter le festival Montpellier Danse, à l’époque dirigé par Dominique Bagouet.
C’est en effet un fil rouge de mon travail : comprendre les réalités locales, identifier les publics, créer des frottements esthétiques, générer des rencontres. Comment faire grandir le regard des spectateurs, leur donner accès à d’autres formes, d’autres récits ? C’est tout l’enjeu de notre programmation.
Ce n’est pas un stéréotype : la situation est préoccupante. Mais le cas de Bolzano est particulier. Le festival est soutenu par une fondation privée, un modèle italien assez courant, notamment dans les domaines de la musique classique ou de l’opéra, qui reçoit elle-même des fonds publics. Cette fondation est financée par la province autonome du Haut-Adige, l’une des deux régions autonomes du pays. Pour l’instant, nous ne sommes donc pas directement impactés par les coupes.
En revanche dans le reste du pays, les coupes sont bien réelles, notamment sur les disciplines pluridisciplinaires et la performance. Il y a là une orientation idéologique claire. Le problème n’est pas seulement budgétaire, il est aussi structurel : l’Italie manque d’infrastructures pour la danse. Il n’y a pas de centres chorégraphiques nationaux comme en France, par exemple. C’est pourquoi nous cherchons à soutenir les artistes italiens en créant des réseaux de coproduction, en leur permettant de travailler, de tourner, d’exister.
Je ne suis pas italienne, donc je ne me permets pas d’ingérence. Mais il est évident que la culture manque de soutien au niveau national. Notre mission, dans ce contexte, est aussi d’observer, de comprendre, d’agir là où c’est possible, avec humilité et détermination.
Festival Bolzano Danza aura lieu du 18 juillet au 1e août à Bolzano
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