5 albums brésiliens coups de cœur, où musique et revendications sociales ne sont jamais très loin

Estrangeiro, album de Caetano Veloso, 1989

Estrangeiro marque le retour de Caetano Veloso au Brésil après des années d’exil à Londres, et prend le spectateur par la main pour l’emmener dans un voyage expérimental aux couleurs du Brésil. Dès les premières notes, Veloso se confronte à cette idée d’étrangeté, celle qui s’immisce dans chaque recoin de l’identité. Il fusionne habilement des genres, passant de la bossa nova à la musique populaire brésilienne, en virant vers  le  rock et la musique d’avant-garde. Né à Santo Amaro, en 1942, Veloso est l’un des pionniers du tropicalisme, un mouvement musical qui, dans les années 60, s’est mis à défricher des chemins encore inexplorés, mêlant mélodies traditionnelles brésiliennes et résonances contemporaines du rock et de la pop. Mais au-delà de la musique, il n’a eu de cesse de défendre les droits civils, plaidant sans relâche pour la démocratie et la liberté d’expression dans un pays en proie à la dictature. Ses paroles, chargées de sentiments complexes, évoquent la nostalgie, la quête identitaire, la liberté sexuelle et l’adaptation à un monde en constante évolution. Dans le cadre de cette quête artistique, Veloso a su s’ériger en porte-voix pour des causes qui lui tiennent à cœur, s’attaquant violemment à la violence et à la discrimination. À ses côtés, l’audacieux et emblématique Arto Lindsay, guitariste et producteur américain. Avec son style de jeu de guitare crissant, comme un gémissement musical,  il offre à Veloso une nouvelle palette sonore et l’oriente vers une esthétique avant-gardiste, presque punk, enrichissant ainsi Estrangeiro par des éléments de rock alternatif et d’expérimentation.

A Voz, O Violão, A Música de Djavan, 1976

Premier album studio du chanteur iconique  Djavan, à la voix à la musicalité d’exception, il fait tout simplement…rêver!! Mêlant le rythme brésilien, à une façon unique de créer des mélodies, cet album révèle non seulement son talent exceptionnel en tant que compositeur et interprète, mais  s’inscrit aussi dans un contexte politique et culturel turbulent au Brésil. À cette époque, le Brésil est sous une dictature militaire qui a commencé en 1964. Ce régime contrôle strictement les arts et la culture, censurant tout ce qui risque de remettre en question son autorité. Les artistes doivent alors naviguer dans un paysage où l’expression créative est souvent entravée par la peur des représailles. Pourtant, malgré cette répression, la musique devient un moyen d’expression forçant le régime à prendre en compte des voix dissidentes. Djavan a touché le cœur de nombreux Brésiliens cherchant à s’évader de la morosité du climat politique, et sa voix a résonné comme un chant d’espoir en des temps difficiles. Cet album est le début de sa carrière fulgurante.

Estudos, album de Baden Powell, 1975

Tel un message intime, le grand guitariste Baden Powell reste fidèle à l’héritage traditionnel brésilien, mettant les sonorités de sa guitare au service de son instinct poétique.  Mélange de rythme afro-brésiliens et d’un sens de la mélodie hors pair, chaque morceau reste en tête comme un poème que l’on se récite. Baden Powell, déjà célèbre pour sa contribution à la bossa nova et à la samba, s’aventure sur des territoires inexplorés, en intégrant des éléments de musique classique et de jazz. Sous les lumières des paysages brésiliens que l’on parvient à imaginer à l’écoute de l’album,  les morceaux se succèdent avec une fluidité remarquable, révélant la maîtrise technique inégalable de l’artiste. Baden Powell, qui a su naviguer entre les ombres de la dictature et la lumière de la créativité, livre ici une invitation à ressentir la saudade, cette mélancolie empreinte de beauté qui caractérise tant la musique brésilienne.  Coup de cœur pour le morceau intimiste et si élégant Valsa sem Nome, qui nous évoque cet état où rêves et souvenirs se confondent parfois.  1975, c’est aussi la même année que le fameux album Airto : Identity, d’Airto Moreira revisitant la  musique brésilienne et le jazz funk des années 70 avec un all-stars de rêve :  Herbie Hancock, Egberto Gismonti, Wayne Shorter, Flora Purim, et d’autres.

Europe, album de Tania Maria, 1997

Pianiste et chanteuse brésilienne exceptionnelle, c’est Claude Nougaro qui la fait venir pour la première fois en France . Rapidement repérée et très appréciée par le producteur Eddy Barclay, Tania Maria connaît un succès fulgurant en Europe et à l’international dès les années 70. Incarnant le latin jazz, elle mélange avec brio le jazz, le rock, le blues, le chorinho et la samba, tout en affichant un jeu pianistique solide qui groove à chaque note. Ses albums, oscillant entre des sonorités brésiliennes presque pop et des enregistrements avec des légendes du jazz comme Steve Gadd ou Anthony Jackson, notamment dans cet album live Europe, témoignent de sa capacité à surprendre constamment. Que ce soit lorsqu’elle chante à l’unisson avec son piano ou lorsqu’elle explore les improvisations vocales du scat, lorsqu’elle plaque des accords aux harmonies jazz complexes ou lorsqu’elle utilise son piano comme une percussion, elle est (outrageusement) fascinante !

Miltons, album de Milton Nascimento, 1988

Dans cet album, Nascimento adopte une approche épurée et intimiste avec  sa voix et sa guitare, accompagnées par Herbie Hancock au piano , ainsi que la percussionniste Naná Vasconcelos. Pour les passionnés de jazz, ce disque présente un intérêt notable : les nombreux moments de solo  d’Herbie Hancock, sa façon inspirée d’accompagner ,  tandis qu’on découvre davantage la guitare distinctive et dynamique de Nascimento. Les titres, coécrits avec son parolier de longue date, Fernando Brant, et d’autres collaborateurs, sont empreints de l’énergie vivifiante de Nascimento.  Place à des chœurs qui donnent de la profondeur. L’album débute par une émouvante dédicace à l’acteur River Phoenix, réalisée bien avant sa disparition tragique. On y retrouve également une version vocalisée et lente de  « La Bamba, » ainsi que des revisites de morceaux antérieurs comme « San Vicente » .  En 1967, Milton Nascimento sortait son premier album en son nom,  Travessia,  celui qui a lancé sa carrière, celui qui allie ballades langoureuses et suaves orchestrées avec délicatesse avec rythmes traditionnels brésiliens, et la célèbre mélodie éponyme du premier titre de l’album qui porte son nom.  À savourer également !

Et le reste…? 

Il nous a été très difficile de ne choisir que cinq albums de musique brésilienne. Egberto Gismonti nous manque ici, ainsi que des artistes comme Seu Jorge,  Gilberto Gil, Antonio Carlos Jobim , Jorge Ben,  Chico Buarque, Sergio Mendes, Yvan Lins, Gal Costa, Elis Regina , des groupes comme les Banda Black Rio, Azymuth, et tant d’autres qui ont largement contribué à créer la musique populaire brésilienne. Le récemment disparu Hermeto Pascoal a également incarné un véritable courant artistique. Aujourd’hui, de nombreux artistes livrent encore une musique d’une qualité rare, le pianiste Amaro Freitas, le guitariste Pedro Martins, le mandoliniste Hamilton de Holanda, etc…