En cette fin d’année, la Philharmonie de Paris poursuit son incarnation pop, muant sa grande salle dans une forme nouvelle avec une fosse, et proposant une programmation décalée. Ce samedi 22 novembre, c’est Yâme, le rappeur franco-camerounais, révélation des Victoires de la musique 2024 qui a enflammé la salle de sa néo-soul.
Révélé au grand public par son EP ELOWI, et notamment par son titre « Bécane » dont le live du Colors Show est devenu viral en décembre 2023 et a dominé le classement Viral 50 sur Spotify.
En juin, il a confirmé sa position sur la scène pop émergente en proposant son premier album, ÉBEM, qui impose son style. Pour ce concert exceptionnel, il revient sur l’intégralité de son répertoire, pour le plus grand plaisir de ses fans. La fosse, qui n’est pas faite vraiment pour, aura pu frustrer la vision des petites tailles, frustration contrebalancée par le plaisir de pouvoir se mouvoir et une surprise en milieu de set. Dans les hauteurs, la résonance de l’espace magnifie les mélodies du chanteur, et la contre-plongée assure un spectacle total.
Yâme nous immerge dans son univers, descendant dans l’ordre son album, tout en ponctuant la setlist d’anciens titres (Ayo Mba, Bécane, Déter, …). Sa voix mélodique, qui jouent des vocalises comme des modulations, convoquent la spiritualité et la gravité qui émanent des thèmes contemporains de ses textes. Chaude et feutrée, elle transporte l’auditoire au creux de ses tripes. Elle s’amuse avec la tension, grâce à sa voix de tête qui donne l’impression qu’il marche sur une ligne mélodique et qu’il peut à tout moment perdre la note, alors qu’il est en extrême contrôle.
Sur scène aussi, le contrôle est total avec une mise en scène maîtrisée. Les effets lumineux pastels vifs, tirant régulièrement sur le rose et le bleu, supportent l’esthétique « warm & mellow » (chaude et douce) du chanteur, très propre à son melting-pot d’influence. En tendant l’oreille, on entend tout aussi bien la néo-soul à la D’Angelo, que le R&B et hip-hop alternatif ou l’afro-fusion. Sur scène, tantôt assis, tantôt virevoltant, le jeune homme porte avec son équipe ses mélodies et ses textes.
Trentenaire, Yâme est habité par les tourments de son âge et de son époque. Il aborde tant les relations avec les femmes, l’addiction que le temps qui passe et la quête de sens, mais au son de sa voix, tout glisse, tout s’entend. Il nous donne la sensation de flotter, de se balader avec l’aisance du jazzman, la hargne du rappeur, la pudeur du musicien. Cette pudeur est peut-être symbolisée par le voile blanc qui parfois se jette en avant-scène, comme pour matérialiser ce filtre qui se glisse entre nous, les autres et nos mondes intimes. Au pluriel.
Et ce pluriel compte, car si Yâme scande à propos de lui, ce sont ces mondes multiples qu’il croque, autant que les nôtres ; ce sont les films que l’on se joue dans nos têtes autant que ceux qui se dessinent sur la scène du réel. Et ces contes prennent parfois forme grâce aux décors projetés sublimes… Le Roi se mue pour de vrai, et on déambule dans le décor de Comme on le vit à deux.
Le layering vocal, les modulations subtiles et les lignes mélodiques serpentines donnent encore plus d’élégance et de profondeur à son propos. Une profondeur qui n’est pas un abîme, car Yâme nous y accompagne. En milieu de show, il se glisse au creux de la fosse, faisant asseoir et murmurer tout le monde au son de son Kodjo. Autour de lui, il a créé son cercle, son Ébem, au sens de son son Intro – « c’est un lieu sacré Ébem, c’est un lieu sacré où les gens se rencontrent pour apprendre des choses ».