Palazzetto Bru Zane poursuit son travail d’enregistrements et de publications d’intégrales d’œuvres lyriques rares et vient récemment d’éditer le Fausto de Louise Bertin en janvier, et Déjanire de Saint-Saëns le mois dernier.Ce mois-ci, c’est cette version rarement donnée sur scène du Werther de Jules Massenet où le jeune héros romantique et suicidaire de Goethe est incarné par une tessiture grave de baryton, la même que son « rival », Albert, l’époux de Charlotte.
György Vashegyi à la direction de l’Hungarian National Philharmonic Orchestra ne parvient pas toujours à nous donner les couleurs si contrastées d’une partition illustrée brillamment par son prédécesseur dans la même version, à savoir Michel Plasson qui était, dans une version enregistrée au Théâtre du Châtelet en 2004 chez Virgin Classic, à la tête de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse .
Werther est une œuvre sombre qui s’illumine parfois d’airs plus joyeux – ceux des enfants – mais dont l’essentiel se situe dans le registre mélancolique qui caractérise cette fin de dix-neuvième siècle, tout comme le Pelléas et Mélisande, contemporain de Debussy. Thomas Hampson avait alors immortalisé le rôle dans cette tessiture qui surprendra les habitués d’un Werther de ténor avec ses aigus soutenus et longuement tenus. D’autres barytons célèbres actuels comme Ludovic Tézier l’ont également chanté sur scène. Rappelons qu’à l’origine la partition de Massenet est volontairement écrite pour un ténor (le créateur était un wagnérien connu) pour offrir un contraste vocal suffisamment important entre le tout jeune poète romantique et Albert le « promis » puis l’époux de Charlotte qui sera à l’origine du désespoir de Werther.
Massenet a écrit une transposition de son œuvre pour le baryton Victor Maurel (créateur des rôles de Iago et de Falstaff), mais c’est finalement Mattia Battistini qui le chanta le rôle adapté à sa tessiture par Massenet, en 1902 à Saint-Pétersbourg.
Le choix de Tassis Christoyannis, autrement dit d’un baryton à la voix mûre qui n’a plus rien de juvénile, renforce les doutes concernant la justification de cette version où l’aspect de la jeunesse inconséquente disparaît d’autant plus. Même si le baryton grec domine sans problème les quelques difficultés vocales de la partition et fait montre d’un beau souffle et d’accents romantiques souvent à bon escient en évitant tout côté trop extériorisé, la crédibilité n’est pas toujours au rendez-vous. Fameux interprète de la mélodie française au service de laquelle il a enregistré plusieurs albums, le baryton nous offre une diction de très grande qualité.
À ses côtés, comme un paradoxe supplémentaire, la production a fait le choix d’une soprano quand Charlotte est plus souvent une mezzo, sa partie sollicitant le medium et le grave comme contrepoint aux envolées lyriques d’un Werther qui tente sans y parvenir totalement, de la faire sortir de ses sages résolutions. Véronique Gens présente de surcroît désormais, un peu de fatigue systématique dans ses aigus, sans avoir l’assise suffisante dans le bas de la tessiture.
En Albert, l’autre baryton, Thomas Dolié déploie un timbre magnifique, de très belles phrases musicales, et paradoxalement (au vu des rôles respectifs), aux accents plus juvéniles à tel point que l’on se demande si une inversion dans la distribution n’aurait pas été plus adéquate. Hélène Carpentier en Sophie, la jeune sœur un rien agaçante et Matthieu Lécroart en père, sont tout à fait de bon ton. On regrette toujours que ce bel opéra comporte des parties sans grand intérêt, toutes celles qui tournent autour de Bacchus…
Un enregistrement intéressant par sa rareté néanmoins… En attendant les autres projets du Palazzetto Bru Zane, Centre de musique romantique française, qui a récemment brillamment exhumé pour la scène, le Fausto de Louise Bertin à Essen, la Montagne noire d’Augusta Holmès à Dortmund et le Tribut de Zamora de Charles Gounod à Saint-Étienne.
À suivre donc…
Werther de Jules Massenet (version pour baryton), Orchestre national philharmonique de Hongrie ; direction : György Vashegyi; avec Tassis Christoyannis, Véronique Gens, Hélène Carpentier, Thomas Dolié ; enregistrement pour la collection « Opéra français » – Bru Zane Label.