Un vivifiant concert baroque

Vingt deux concerts et spectacles, dans seize lieux urbains ou ruraux du Val d’Oise, répartis sur dix mois. L’offre culturelle du 39ème festival baroque de Pontoise est impressionnante. Ce soir le festival reçoit les musiciens de Saint Julien, ensemble baroque résidant au Havre fondé en 2005 par François Lazarevitch. Il est multi instrumentiste, enseignant, chercheur. Passionné par les musiques anciennes, collectionneur d’instruments, il édite les partitions de répertoires exhumés.
Georg Philipp Telemann ( 1681-1767), l’un des compositeurs majeurs de l’époque baroque nous laisse une œuvre immense encore en cours de redécouverte. Lors d’un voyage en 1705 à Pless, en Silésie et à Cracovie, le jeune compositeur s’enthousiasme pour les musiques populaires polonaises. Il est fasciné, inspiré par «leur véritable beauté barbare». Ce soir François Lazarevitch va nous transmettre le souffle de cette musique.

Une musique envoûtante

Au son du tambour et de la cornemuse, les musiciens traversent la salle et descendent jusqu’à la scène. Après cette marche nuptiale et une première danse, François Lazarevitch prend la parole pour nous lire un court extrait de l’autobiographie de Telemann: «Leur inspiration merveilleuse lorsqu’ils se livrent à leurs fantaisies au point que quelqu’un d’attentif pourrait en huit jours prendre des idées pour toute une vie».
Puis vient le concerto en ré de Telemann , un concerto pour flûtes, une flûte traversière dans le paisible moderato initial, puis une flûte à bec dans l’allegro. Dans le très beau largo, la flûte est seulement accompagnée par le cymbalum et les cordes pincées dans une atmosphère d’une grande douceur. Avant un Vivace final qui est joyeux malicieux, très rythmé, bref une danse enivrante.
Puis l’auditeur est plongé dans les danses traditionnelles du début du 18ème siècle. Elles sont polonaises, moraves, slovaques, roumaines. Les deux sources principales d’inspirations sont le Manuscrit de Rostock qui recueille les musiques entendues et retranscrites par Telemann et le Manuscrit d’Uhroska. Il date de 1730, porte le nom d’une ville slovaque et comporte des musiques tziganes. Nous sommes portés par un souffle, une énergie joyeuse. L’orchestration est riche, inventive Le rythme est envoûtant, endiablé parfois. Il doit beaucoup au cymbalum et aux percussions. L’auditeur est transporté dans des cabarets ou des fêtes villageoises d’Europe Orientale. La sonorité du violon dans ses entames nous confirme l’inspiration tzigane. La Cornemuse pourrait rappeler le folklore irlandais.

Les magiciens

François Lazarevitch apparaît, disparaît, revient, se déplace sur scène tel un magicien. Il utilise cinq flûtes différentes, dont la Frula, une petite flûte utilisée par les bergers serbes. Mais il joue aussi de la cornemuse qu’il peut transformer en musette de cour. Magique!
Autre magicienne, Hèlène Richaud est violoncelliste mais parfois elle pose son instrument, se lève et chante. Sa voix est chaude, souple voluptueuse. La chanteuse est très expressive, nous transmettant ses émotions. Il peut s’agir d’une chanson à boire, la joie de la fête éclate, la chanteuse nous invite à partager ce bonheur: «Et qui ne boit ni ne danse. Celui là ne profitera de rien dans ce monde». Dans un très émouvant duo avec la flûte elle chante la douleur d’une jeune fille qui vient de perdre sa mère: «Bas est le soleil, bas, bas au coucher, car Maman n’est plus de ce monde».
Les instruments sont magiques aussi. Le théorbe de Léo Brunet est superbe. C’est un grand luth à cordes pincées, sa sonorité pourrait en faire l’ancêtre de la guitare. Le solo du théorbe, bientôt accompagné du violon est une plainte amoureuse presque romantique.
Puis le cymbalum est mis en valeur. Tel une grande cithare, le cymbalum est un instrument à cordes frappées. Lurie Morar utilise avec virtuosité son marteau enrobé de coton! Son solo est impressionnant par le rythme mais aussi la mélodie qui nous enveloppe.
Pierre Rigopoulos, percussionniste a un rôle majeur pendant tout le concert. Son solo de Zarb, un tambour persan, est époustouflant. Il interprète une œuvre contemporaine, Détour Autour de Jean Pierre Drouet. Il joue à mains nues, son agilité est étonnante. Le rythme est lancinant, puis s’accélère jusqu’à entrer en transe. Il témoigne d’une grande inventivité rythmique, d’une grande virtuosité.
Le festival baroque de Pontoise nous a offert un concert original et réjouissant. Les musiciens ont su communiquer au public leur enthousiasme et leur énergie joyeuse. Comme bis, François Lazarevitch nous a proposé trois chansons respectivement roumaine, grecque et serbe nous montrant ainsi une étonnante filiation entre la musique folklorique contemporaine et la tradition baroque.