Un moment musical et poétique avec Vanessa Wagner

Un concert en toute intimité

Nous rentrons dans une salle de dimension relativement modeste. Au fond, devant des rideaux de velours bleu, le piano noir à queue occupe presque toute la scène, imposant, éclairé par des seules bougies. De petites tables rondes, avec une bougie posée sur chacune, invitent à prendre un verre en attendant la pianiste. Nous sommes plus dans un salon que dans une salle de concert. L’intimité et la douceur du lieu nous touchent d’emblée.
Depuis une soixantaine d’années, l’Ecuje est dédié à l’enseignement et la promotion de la culture juive, en dialogue permanent avec la cité. Cet espace culturel propose des conférences, des rencontres littéraires mais aussi l’étude de l’hébreu et des textes sacrés. Dans le cadre de son programme de concerts, il a invité la pianiste française Vanessa Wagner. Une artiste qui se consacre à la musique romantique mais est aussi très engagée dans la création contemporaine. Le concert de ce soir fait référence à son dernier album Everlasting Season, paru en 2024 et conçu pendant le confinement.

La poésie de Mendelssohn et de Tchaïkovski

Droite, sereine, altière, Vanessa Wagner débute le concert par Les Saisons de Tchaïkovski. Il s’agit de douze pièces pour piano, composées entre décembre 1875 et Novembre 1876 à la demande de Nicolaï Bernard, directeur d’un magazine musical mensuel. A chaque pièce correspondait un mois, chacune, précédée de l’épigraphe d’un poète russe, dépeignant un tableau poétique. La pianiste nous joue « les mois les plus beaux de l’année », de mars à septembre. L’auditeur appréciera la délicatesse et la beauté du « Chant de l’alouette»  (mars) et la légèreté des staccatos joyeux des «  Nuits de Mai ». Il sera enchanté par la beauté du chant de la célèbre Barcarolle. Vanessa Wagner joue cette célèbre mélodie avec sobriété et sensibilité.
Sans transition elle interprète trois Romances sans paroles de Félix Mendelssohn. Ces 48 pièces composées par Mendelssohn tout au long de sa vie sont un peu son testament. Le piano y devient poète. Nous sommes au cœur du romantisme dans une musique d’une grande richesse. La beauté des mélodies, parfois très connues, peut laisser la place à des envolées de croches, la mélancolie alterne avec la joie et la légèreté. Dans ces romances, la pianiste nous montre sa virtuosité, mais aussi la délicatesse, la subtilité de son jeu.

Les confidences de la pianiste

Puis Vanessa Wagner prend la parole. Assise sur le tabouret de piano, sans micro, elle nous parle simplement comme à des proches ou des amis. Elle nous dit sa joie d’être là, à l’Ecuje, pour un concert intimiste. Elle aime jouer dans des lieux inhabituels, surprenants et se présente comme « une pianiste tout terrain » . Elle se confie, sur son grand-père converti au judaïsme qui interdit à toute la famille d’apprendre l’allemand. Sur son voyage en Israël pour ses cinquante ans qui s’est achevé le 5 octobre 2023… Elle nous raconte l’importance dans sa vie de la littérature et de la poésie, sur son souhait de relier la musique aux mots. Comme dans le programme de ce concert…
Il se prolonge par les Pièces lyriques d’Edvard Grieg, soixante-six pièces au total, composées entre 1867 et 19O1, inspirées par le romantisme, mais aussi par le folklore national et les danses villageoises norvégiennes. Huit pièces sont jouées par la pianiste, une musique rythmée, souvent joyeuse, mais aussi très expressive. L’auditeur remarquera le jour de noces à Troldhaugen. Troldhaugen est le nom de la villa du compositeur au sud de Bergen. Le rythme est enlevé, nous sommes dans une fête joyeuse même si affleure un soupçon de mélancolie. Puis survient à deux reprises une vague montante puissante, illustrant la force de la vie. Un intermède très doux nous évoque une interrogation sur l’amour. Une œuvre attrayante, spectaculaire, magistralement interprétée par Vanessa Wagner. Tout comme la célèbre Marche des trolls, une musique ludique, séduisante, révélant la virtuosité de la pianiste.
En bis, Vanessa Wagner joue La Séparation de Mikael Glinka. Un moment de mélancolie, en hommage aux amours douloureux de Tchaïkovski et de Grieg. Un hommage qui clôt un concert empreint de douceur et de tendresse. Un moment suspendu, hors du temps. Un moment qui pourrait rappeler les concerts du 19ᵉ siècle quand Chopin ou Liszt déployaient leur talent dans des salons pour un public restreint…