« C’est une plume d’ange. Je te la donne » – Nougaro
Quoi de plus délicieusement subversif qu’un spectacle de chanson à dix heures du matin, alors que le soleil d’Avignon caresse à peine les pierres chaudes et que les festivaliers, encore engourdis par les excès de la veille, hésitent entre le café et le remords ? Mon Truc En Plumes, présenté à l’Atelier 44 dans l’écrin matinal du OFF, est de ces folies raffinées qui transforment l’aube en fête, le réveil en ravissement, et prouvent que la chanson n’a que faire des horaires – elle est ivresse à toute heure.
Lionel Damei, dandy matinal et héritier spirituel de Zizi Jeanmaire (son « ADN de chanteur en mouvement », comme il le clame avec panache), ne se lève pas pour chanter : il s’éveille pour célébrer. Son répertoire, tiré des plus grands noms – Aragon, Barbara, Ferré, Gainsbourg, Nougaro, la fantasque Brigitte Fontaine –, devient sous sa voix un bouquet éclatant, une déclaration d’amour à la langue française, à sa musique, à son audace. Et quel meilleur moment qu’un matin pour savourer ces mots comme des pêches mûres, ces mélodies comme du vin frais ?
L’accordéon de l’excellent musicien Noé Clerc, complice de cette insolente matinée, joue avec la légèreté d’une brise et la profondeur d’un soupir, rappelant que la chanson peut être tout à la fois légère et grave, tendre et mordante. Damei y glisse ses propres compositions, comme des confidences entre deux classiques, prouvant que cet art n’est pas un musée, mais un jardin toujours en fleur.
Le OFF, souvent terre de théâtre, devient ici le sanctuaire d’une chanson exigeante, vibrante, celle qui ne se contente pas de divertir mais qui électrise l’âme. Et si l’on croyait la chanson réservée aux nuits enfumées, Mon Truc En Plumes vient rappeler, avec une élégance moqueuse, qu’elle est aussi affaire de lumière – de ce soleil matinal qui dore les notes et les rend plus claires, plus crues, plus nécessaires.
Alors oui, à dix heures, quand d’autres bâillent encore, Lionel Damei offre un spectacle qui réveille mieux qu’un espresso, qui enchante plus qu’un rêve, et qui prouve une fois encore que la chanson, quand elle est portée par un artiste aussi entier, est une raison de se lever.
Et après tout, n’est-ce pas là le plus beau des luxes ? Commencer sa journée non pas avec la morosité des obligations, mais avec la grâce d’un festival de mots et de notes – une raison d’être, dès l’aube, pleinement vivant.