Un ciné-concert pour (re) découvrir Ernst Lubitsch

Un cinéaste prolifique

Pour Martin Matalon, « le ciné-concert transforme un spectacle figé en spectacle vivant». Il nous fait découvrir Ernst Lubitsch (1892-1947). Fils d’un tailleur berlinois, il débute le théâtre à l’âge de 16 ans. Acteur, réalisateur, auteur, il tourne ses propres films à partir de 1916. « Quand j’étais mort » est le plus ancien connu. Trois ans plus tard, en 2019, « La princesse aux huîtres » connaîtra un vif succès. Il part pour Hollywood en 1923 et réalisera une cinquantaine de films en tout.
Ce soir, Martin Malaton dirige l’Ensemble inter-contemporain.

Un humour grinçant

«Quand j’étais mort» est une histoire simple mais …. très drôle. Tourmenté, chassé de chez lui par sa femme et sa belle-mère, un homme fait croire à son suicide puis revient à son domicile, déguisé en domestique. Mais sa belle-mère commence à lui faire des avances…. Nous voilà plongés dans le Berlin de la Première Guerre mondiale, dans l’univers de Lubitsch, le « Lubitschland ». Il interprète lui-même le rôle du mari. Les acteurs sont remarquables par leur expression corporelle et leur talent pour le burlesque. L’humour de Lubitsch, outre sa drôlerie, est espiègle, mordant, impitoyable parfois mais le film garde toujours une certaine élégance. Le spectateur se souviendra de la méchanceté de la belle-mère qui enferme dehors son gendre, contraint à dormir sur l’escalier et revient pour lui prendre son manteau. Il n’oubliera pas la scène du mari, devenu domestique, qui ne sait pas éplucher les pommes de terre ou le ridicule du nouveau prétendant, avec sa raideur toute prussienne.
A grand renfort de percussions et d’électronique, la musique d’Oren Boneh éclate dès la bande d’annonce. Sa musique est très rythmique, contrastée, et quelque peu …. sauvage. Elle paraît en complet décalage avec l’intérieur bourgeois confortable que montre le film. Le bruitage excessif renforce le côté burlesque et absurde des situations. Mais la musique sait accompagner les images, elle peut être légère, moqueuse, mais aussi grinçante, grimaçante ou colérique. Nous assistons à la confrontation entre l’univers du début du 20ᵉ siècle et une musique contemporaine audacieuse, mais le contraste fonctionne, donnant toute son intensité et sa modernité au film.

« La princesse aux huîtres » : une satire sociale impitoyable.

Dès son apparition à l’écran, monsieur Quaker fait rire. Obèse, avachi dans un large fauteuil, il fume un énorme cigare, entouré d’un régiment de domestiques noirs en livrée. La caricature fonctionne immédiatement. Monsieur Quaker est un richissime américain, c’est le roi des huîtres. Il cède au caprice de sa fille Ossi et lui cherche un mari. Son choix se porte sur Nucki, un prince désargenté. Il envoie son valet Josef au palais de Quaker. Le comique de nombreuses scènes réjouira le spectateur. Entourée de ses servantes, une Ossi quelque peu écervelée, baigne sa poupée pour apprendre à prendre soin d’un bébé ! On remet un gigantesque plan à Josef pour qu’il fasse un bon voyage dans l’immense palais. Le mantra que répète Quaker, « Cela ne m’impressionne pas » est aussi très drôle. La critique sociale est là : lors du pantagruélique repas de noce, Josef arrive enfin à calmer sa faim alors que Nucki doit se contenter d’un maigre hareng comme dîner. Il est vrai que sa seule fortune est le surendettement !
Le film est accompagné par Foxtrot Delirium, une musique composée en 2015 par Martin Matalon. Elle est moins intense, moins explosive que celle d’Oren Boneh, l’électronique est moins abondante. Le rythme a une importance primordiale, il est répétitif, syncopé, presque lancinant. Il va imprégner le spectateur et la musique va se fondre dans les images donnant une impression de fusion avec le film. La place des xylophones est prépondérante, formant la base rythmique de la musique. Mais l’auditeur remarquera les solos du trombone, l’ironie de la flûte, la douceur de la harpe. Et puis il y a le Foxtrot : le jour des noces, cette danse se répand dans tout le palais, jusqu’aux cuisines « comme une épidémie ». On peut y voir une allusion à la grippe espagnole, mais nous sommes déjà dans les années 20, avec la frénésie des années folles qui s’empare de l’Amérique. Les cordes, les percussions et le trombone s’unissent pour la danse. Musicalement, c’est très réussi, offrant un moment très réjouissant au spectateur.
Ce ciné-concert nous a rappelé les charmes du cinéma muet et la « Lubitsch touch ». Plus d’un siècle séparent les films de Lubitsch et les créations musicales d’Oren Boneh et de Martin Matalon, mais le mariage est plutôt réussi.