L’Orchestre de Paris, sous la direction d’Herbert Blomstedt, interprète la 8ème symphonie d’Anton Bruckner, le 24 et 25 Avril 2024 à la Philharmonie de Paris.
Redingote noire, chevelure blanche, il apparaît sur scène, courbé, fragile au bras du premier violon. Puis il s’assied, se redresse et le concert peut débuter. Quelle dignité! L’émotion de la salle est palpable.
Ce soir, le doyen mondial des chefs d’orchestre nous honore de sa présence. Herbert Blomstedt est né le 27 Juillet 1927. Il débutera sa carrière de Chef en Suède en 1954! Une carrière de 70 ans maintenant! Il est actuellement Chef Honoraire des orchestres de San-Francisco, de Bamberg mais aussi du Gewand Haus à Leipzig, des radios suédoises et danoises, de la NKH à Tokyo. Il dirige l’Orchestre de Paris avec précision, efficacité. Ses gestes sont sobres, mais expressifs, transmettant les émotions suscitées par la musique de Bruckner.
La 8ème symphonie d’Anton Bruckner (1824-1896) est une immense fresque musicale, le sommet de l’art de la symphonie romantique. Sa composition sera longue, laborieuse. Elle débute en 1884 alors que Bruckner connaît enfin le succès et la reconnaissance grâce à sa 7ème Symphonie. Mais trois ans plus tard, Hermann Levi, l’artisan du succès de la 7ème, refuse la partition, jugée incompréhensible. Le compositeur en est très affecté. Il va écrire une deuxième version, celle de 1890 et connaîtra le succès lors de sa création à Vienne en 1892. Il s’agit bien d’une symphonie exceptionnelle, par sa durée de 75 à 85 minutes mais aussi par ses innovations orchestrales. L’importance des vents est primordiale: ce soir ils sont douze, 3 flûtes, trois hautbois, trois clarinettes, trois bassons. Les cors jouent un rôle majeur et Bruckner introduit le Tuba Wagnérien. Mais cette symphonie est surtout une œuvre d’une grande profondeur métaphysique. Le très croyant Anton Bruckner est aussi le digne héritier de Beethoven.
Après un début mystérieux, après des rythmes quelque peu heurtés, les violons exposent un thème très mélodieux. Ils sont rejoints par les cors. Ce mariage harmonieux des cordes et des cors va traverser l’œuvre pour notre plus grand bonheur. On remarquera aussi deux duos de flûtes. La musique est généreuse, l’atmosphère envoûtante. Mais les trompettes annoncent brutalement la mort et la magnifique Coda a été dénommée par Bruckner comme la «Totenuhr», l’heure de la mort. C’est un bruissement des cordes, un pianissimo très émouvant, d’une grande douceur, comme si la proximité de la mort permettait la sérénité.
Le scherzo est dédié au paysan danubien, le Deutscher Michel. La musique est enjouée, avenante, souvent rapide. L’ambiance est pastorale. L’auditeur est transporté dans une nature riante, généreuse. On remarquera à nouveau de très beaux duos, bassons et cordes pincées, violons et hautbois. La fin est triomphale, la joie éclate.
Prodigieux adagio, le plus long de l’histoire des symphonies. Le début est une plainte sourde, portée par les alto et les violoncelles. Puis apparaît une si belle mélodie, solennelle et émouvante. Nous sommes transportés dans une cathédrale gothique. La musique est une prière à elle seule. La ferveur et la beauté sublime sont sources d’espoir, malgré les accents tragiques répétés des violoncelles. Peut-être aussi grâce à la douceur des harpes. La méditation est interrompue brutalement par les trompettes. L’orchestre s’emballe, à grands coups de timbales et de cymbales. Un moment de frénésie, qui permet le déploiement de toute la puissance de l’orchestre symphonique. Avant une coda apaisée qui reprend le thème du début. Dans une alliance des cors et des cordes d’une grande beauté.
Le final est spectaculaire, complexe, contrasté. Il est dédié à l’empereur d’Autriche François-Joseph. Puissance des accords, rythme soutenu, roulements de timbales, la musique est triomphale, grandiose. Mais l’adagio n’a pas été oublié. Sa longue méditation ouvre la voie à un soulagement, un éclairage nouveau, une transfiguration (Verklärung pour Bruckner). La mélodie est alors douce, romantique, incitant à une ballade rêveuse. Avant une fin à nouveau triomphale, comme une apothéose de cette symphonie d’exception.
Ce fut un concert riche en émotions. Grâce à ce chef de légende. Grâce à la musique de Bruckner et en particulier à son splendide adagio.
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