Théâtre des Champs-Élysées : Adèle Charvet chante Joséphine

Osez Joséphine

Les halls spacieux du théâtre des Champs-Élysées se sont fait un charmant lifting pour cette nouvelle saison et l’on est ravi de constater que l’exploitation d’aussi beaux lieux art-déco, est enfin optimisée en faveur d’un accueil plus chaleureux du public. Banquettes et tables rondes, ménagent des effets conviviaux, permettant au public de grignoter un morceau ou de boire un verre dans des conditions beaucoup plus sympathiques et attirantes. La librairie a trouvé un nouvel espace qui met en valeur un fond qui pourra sans doute se renouveler un peu pour offrir des éditions plus rares.

Cette rentrée est surtout marquée par le centenaire de Joséphine Baker que le théâtre qui l’accueillit dès 1925, tenait à honorer par plusieurs manifestations.

Une exposition d’affiches de l’époque orne les murs du rez-de-chaussée de chaque côté des entrées dans la salle, toujours aussi élégante et belle, elle aussi depuis un lifting réussi.

Vous pouvez désormais entrer dans les lieux une heure avant votre spectacle et profiter pleinement de ces belles réalisations.

Tour de chant

La soirée s’intitule « Adèle Charvet chante Joséphine Baker » et la deuxième partie verra plus particulièrement, l’artiste nous proposer une sorte de revue des airs de l’époque parisienne de Joséphine Baker, dans un style cabaret avec micro et sonorisation et bien sûr, quelques tubes fameux tels que « j’ai deux amours » de Vincent Scotto qu’elle reprendra en « bis » à l’issue de la soirée. L’ensemble est orchestré et arrangé par le pianiste Johan Farjot.

Très émouvant le « He’s Got the Whole World in His Hands », spiritual anonyme chanté lors de la marche de 1963 par Marian Anderson, avec lequel Adèle Charvet commence ce florilège de chansons liées à Joséphine Baker, d’une belle voix ronde et harmonieuse.

Nous revisitons cette période où le jazz s’impose peu à peu, avec le « Charleston » de James P. Johnson, emblème de la Revue Nègre du Théâtre des Champs-Élysées en 1925, « Petite Fleur » de Sydney Bechet, qui traversa l’Atlantique avec Joséphine et la « Moonlight serenade » de Glenn Miller. Et puis pourquoi pas évoquer aussi Edith Piaf qui immortalisa à la même époque, « l’Hymne à l’amour » et enfin, « Demain » de Pino Donaggioo, cette chanson remplie de l’optimisme de notre combattante.

Ambiance jazz, ambiance danse, ambiance folies sur scène, tout y est sur le papier pour recréer les soirées de l’époque non sans un éclectisme parfois discutable quand arrive le « Blowin’ in the wind » de  Bob Dylan même s’il fut l’un des hymnes de la bataille des droits civiques dans les années 60.

Adèle Charvet sculpte les mots, module les sons et swingue avec le rythme chaloupé de ces petits bijoux. Sa prestation se montre tout à fait impressionnante, créant une grande émotion dans le public durant chacune de ses chansons si évocatrices d’une période heureusement révolue. Elle donne une interprétation très personnelle avec ses moyens propres et sa voix d’une grande pureté et d’une grande clarté., très éloignée, il faut le dire, du style et de la gouaille des chanteuses auxquelles elle fait référence, que ce soit Joséphine Baker ou Edith Piaf dont l’art populaire faisait merveille. C’est autre chose, une incarnation personnelle plus classique et plus « sage » qui ne manque pas de charme.

L’Orchestre de Picardie se montre inégal dans son accompagnement, ne maitrisant pas toujours l’équilibre entre ses pupitres malgré d’excellents passages. De la même manière le célèbre et très rythmé « Bœuf sur le toit » de Darius Milhaud, souffre de quelques décalages et discordances.

Création mondiale

L’événement de la soirée était sans nul doute, la création d’une œuvre dédiée à la chanteuse aux « deux amours », « Chalk Line » de la compositrice Caroline Marçot. Pianiste et cantatrice, Caroline Marçot se tourne vers la composition en 2000, comptant aujourd’hui près d’une soixantaine d’œuvres commandées par des institutions très variées telles France Musique ou la Cité de la Musique.

Chalk Line, c’est le « trait de craie » qui sépare les artistes des spectateurs dans le théâtre de rue mais c’est aussi celui qui marque la différence de droits entre les Noirs des Blancs aux USA à l’époque de Joséphine Baker et jusqu’aux années 70.

Et c’est Joséphine Baker militante que Caroline Marçot salue dans son ouvrage, plus particulièrement son courageux discours aux côtés de Martin Luther King en Août 1963, lors de la célèbre marche pour les droits civiques au Lincoln Memorial, immortalisée par le fameux « I Have a Dream » du pasteur noir. Elle se tient à ses côtés et prend la parole devant l’énorme foule qui s’est levée alors à Washington. Caroline Marçot a voulu rendre à Joséphine Baker toutes ses dimensions à la fois, celle de l’Américaine du Missouri, celle de Résistante au nazisme, celle de la combattante pour les droits civiques, celle de la féministe aussi…

Des images et des paroles défilent d’ailleurs sur un écran situé au-dessus de l’orchestre rappelant l’importance de cet événement et ces traits d’une courageuse femme qui chantait « si j’étais blanche » et s’était réfugiée en France dans les années vingt pour pouvoir exercer son art interdit aux Usa aux gens de couleur.

Et l’on entend également des extraits de la chanson « Old Alabama » en référence au dernier navire négrier coulé sur le fleuve Mobile. Et s’y mêlent également des chansons de Nina Simone, quelques mots de Daisy Bates, elle aussi militante contre la ségrégation qu’elle vécut dans sa chair au début du siècle dernier, de Mahalia Jackson, la star du Gospel dans les années 40. Très émouvants également sont les « Freedom » et « Hope » clamés à plusieurs reprises dans la pièce de Caroline Marçot, en écho aux slogans lancés par par la chanteuse de jazz et de comédie musicale Lena Horne.

Toutes ces femmes ont témoigné des drames de la ségrégation raciale et se sont engagées résolument dans la bataille des droits civiques.

Et c’était un obstacle à leur carrière artistique. Joséphine Baker en témoigne quand, ayant traversé l’atlantique pour sa « danse sauvage » de la Revue nègre avenue Montaigne, elle déclare : « Un jour, j’ai réalisé que j’habitais dans un pays où j’avais peur d’être noire. C’était un pays réservé aux Blancs. Il n’y avait pas de place pour les Noirs. J’étouffais aux États-Unis. Beaucoup d’entre nous sommes partis, pas parce que nous le voulions, mais parce que nous ne pouvions plus supporter ça… Je me suis sentie libérée à Paris ».

La composition de Caroline Marçot (éditée chez Artchipel) est un bel hommage à l’infatigable artiste, écrit pour orchestre et voix, avec de nombreuses variations sonores de couches instrumentales qui se superposent, enrobant la voix en quelque sorte, dans un ensemble harmonieux et émouvant. Et elle évoque au travers de sa musique comme des paroles du chant toutes sortes de références du combat pour l’émancipation. On y entend ainsi des bruits de chaine, des rythmes très rapides et saccadés comme autant de travailleurs en plein labeur dans les champs de coton, des rappels du fameux cake-walk, cette danse en forme de parodie inventée par les esclaves noirs pour se moquer des bals des Blancs, des airs de jazz.

La mezzo-soprano Adèle Charvet connait bien la création pour l’avoir accompagnée et avoir endossé le rôle de Joséphine Baker dès le début de l’entreprise. Elle habite donc avec talent la partie vocale et assène des Hope, puis des Freedom qui font frissonner la salle. On regrettera juste que, malgré un timbre magnifique, Adèle Charvet ne possède pas toujours l’instrument puissant qui lui permettra de ne jamais se laisser bousculer par les sonorités de l’orchestre. L’Orchestre de Picardie (Orchestre national en région Haut-de-France) sous la direction de David Reiland, brille de mille éclats, servant la nouvelle partition de Caroline Marçot avec inventivité, en donnant une lecture fluide et très avenante.

Consortium créatif pour la musique contemporaine

Membre du Consortium créatif, ce regroupement de cinq orchestres de territoires français différents, l’orchestre de Picardie s’est vu confier la « première » de cette création mondiale de la saison 2025/2026, qui sera suivie de reprises dans la région, successivement à Laon, Amiens, Albert et Hirson, en octobre puis février. (lien calendrier)

Mais selon le principe de ce travail collectif, un calendrier est déjà établi pour la programmation de l’œuvre : en mai 2026 ce sera le tour de l’Ochestre national de Bretagne sous la direction de Nicolas Ellis d’assurer pas moins de quatre reprises, à Rennes, Lamballe, Pontivy et Brest.

Puis dans un an, l’orchestre national de Cannes prendra le relais (octobre 2026), celui d’Avignon-Provence (décembre) et enfin l’orchestre national de Mulhouse terminera le cycle des représentations de cet opus de musique contemporaine, durant la saison 2026-27.

Notons à quel point il est rare pour un compositeur de voir sa création programmée sur plus d’une saison, dans différentes salles, avec des publics nouveaux, qui permettent à chaque fois de renouveler l’interprétation tout en ouvrant le chant des possibles pour favoriser l’accès de tous à la musique : travail en milieu scolaire, participation à des ateliers de découverte, présentation orale de l’œuvre mais aussi de son inspiratrice, Joséphine Baker.

On en profitera pour remercier Jean-Baptiste Urbain de France Musique d’avoir brillament animé la conférence de presse de présentation de ce fameux « consortium » donnant la parole aux chefs d’orchestre et directeurs de théâtre concernés, à la compositrice et au parolier, valorisant à juste titre l’expérience unique de collaboration artistique que ce consortium assure.

Il existe depuis 2022 et a déjà permis la création de quatre œuvres dans des conditions optimales de diffusion « grand public », avec le soutien de la Sacem, de France Musique et de France culture qui en assure la retransmission en direct. Deux autres œuvres sont d’ores et déjà en préparation pour la saison 2026-27, une création musicale de Alexis Savelief pour le film « Le dernier des Hommes », film muet de F.W. Murnau, sorti en 1924 ainsi que d’un Concerto pour clarinette qui sera composé par l’Iranienne Golfam Khayam.

Cette soirée Joséphine Baker sera suivie d’un gala de Pretty Yende le 4 octobre et la première après-midi musicale en famille autour du conte pour enfants de Karol Beffa à propos d’un Roi qui n’aimait pas la musique mais tomba amoureux de Joséphine Baker !