10 titres à écouter en priorité : « Hungry Are We » Beak ; « Bahr », Dijit ; « Alright », Victoria Monét ; « Amerika », Yelka ; « I Hate You In The Morning », Otha ; « Ooo, I », Forest Law ; « Moments Die », Joe Goddard & Barrie; « Count The Days », Swam Dogg & Jenny Lewis ; « Le chant des sirènes », Matt Low ; « (It Goes Like) Nanana », Peggy Gou.
Comment commencer autrement qu’avec un doute ? Et le très solide album de Beak donne matière à douter, à suivre les mystérieuses fausses pistes, sombres et versatiles. Faut-il revenir sur les chemins déjà bien balisés, l’infusion parfaite du blues et de la country des années 1960, la belle et authentique version du bordel des bords de ville chantés par les Rolling Stones ? Faut-il tout changer ? Rester simple et plaire à tous avec quelques hooks très basiques, quelques vibes tropicales estivales. Emballez, c’est pesé (Sad Night Dynamite). On peut toujours essayer, mais rien n’y fait. La mélancolie, la rude et blanche qui guette, envahit le monde, par son évidence, sa sobriété (Nuno Beat). Et c’est la raison pour laquelle cette playlist est remplie d’interludes impromptus, pour penser à autre chose, pour se souvenir de ce qui vaut le coup, et de ce qui coince. Cette façon d’être secrètement amoureuse d’une amie de son frère, et de tout ce qui s’ensuit (Maud Lübeck). On se laisse aller, on s’autorise un énième Jean-Louis Murat, comme l’ange blond noyé dans la Durance, comme un démon. Notre démence est surtout démente parce qu’elle est niée avec mutisme et désinvolture. Où alors, quoi d’autre ?
Je voudrais m’allonger indolent, indifférent à la morale de l’histoire et de mes sentiments ; je voudrais tout te donner du minuscule que j’ai à donner. Je te voudrais toi Anycia, ou encore toi Liv ; puisque c’est l’été, puisque tu as l’air de vouloir nous entraîner dans ton groove. Sauf que très vite encore, le ciel se couvre ; très vite le soleil des pyramides de Dijit s’assombrit. La négativité s’impose sous la mélancolie (Honeyglaze), découpée au couteau par la grâce de Victoria Monét qui remet la vibration en perspective, main-d’œuvre solide et annonciatrice des têtes de liste de la playlist maintream. Clin d’œil simple et bobo, chaloupant à revers avec Vincent Staples qui cristallise l’énergie ténébreuse de l’au-delà, celle qui progresse en intransigeance, dans la texture humide de l’atmosphère avant l’orage, dans la complexité des musiques savantes qui prennent leurs marques et proclament la bonne nouvelle ; du tube pour tous – joie et mélancolie de concert dès la sublime intro de « Million Dollar Baby » (Tommy Richman). Il nous incombe aussi de danser sombre, de danser dans la nuit et faire circuler notre prière à trois sous, la prière interlude et super bien membrée de Travis Scott. « Was it the pills? Was it the drug? I knew I wasn’t the only one. » Vertige de l’ego qui nous fait remplacer le quasi vintage « Love you » de Billie Eilish par son ombre nerveuse, totalement nuageuse qui dit que les nuits sont plus belles que les jours, et que juste après, eh bien oui, it’s morning and « I hate you in the morning » (Otha).
Un peu de répit s’il vous plaît, un peu de baume pour soigner la rouge surexposition de nos faire-croire, de nos demi-vérités. Ce genre de morceaux pour lequel rien de très sérieux ne peut enchaîner, et qui nécessite de tout changer. Alors, on va passer à autre chose, à des circonvolutions psychédéliques, les structures alambiquées de Pacôme Gentry, la plainte funèbre de la chanteuse Lella (avec Dijit) et le souffle discret, juvénile de Myaaa P avant de repartir avec Anycia dans le style d’une chanson-interlude. Très à la mode, ça, la chanson qui ne prend pas le temps d’ennuyer et se contente d’indiquer la direction à suivre des j’aime, j’aime pas, la bonne playlist à mettre de côté. Un super jingle. Un moment pourtant, c’est inévitable, on plonge dans la texture profonde du tube avec Billie qui l’assure tranquillement : « It’s a craving not a crush. » Forest Law et Joe Goddard, Swamp Dogg pour le groove christique des hauts le coeur. Alors si tu veux tout rendre, rends tout cela sur moi, ma poitrine accueille tes dégoûts. C’est bien l’été des rooftops et du vin rosé qu’affectionnent tant les Français et leurs admirateur.e.s. Et personne ne résistera au shopping de RXKNephew ni à l’insolente proposition de la famous Peggy Gou dont on extrait ici la vibe bitch (« Nanana »). Autant d’invitations au bonheur à peine voilées par la douce mélancolie de Matt Low, la gravité capverdienne de la Britannique Kavita Sha, et puis enfin, puisque c’est l’été, une ultime petite facilité gourmande, « Unfortunate » langoureux de Tems qui inverse le pôle des passions.
Ce n’est pas tant que les nuages s’accumulent, c’est plutôt qu’ils ne disparaissent jamais vraiment et que si l’on penser à autre chose, on finit par se retrouver face à face ; et c’est peut-être bien au fond de matérialiser crûment l’idée. Hey, tout ne va pas super bien ici, n’est-ce pas !? C’est très important comme le dit Lupita, de « regarder les étoiles dans le ciel », de compter les jours avant que. On réécoute Swam Dogg qui compte encore sous la ferveur de Jenny Lewis (« Joy All », album solaire de 2023), la sombre infinitude que nous ouvre l’ex-Gastr del Sol, David Grubb, pour en arriver à notre ultime vérité, « l’impossible à ne pas reconnaître », comme dirait le philosophe : le phrasé net et intelligible de Rebotini sur le « Smalltown » de Bronski Beat pour redire la disjonction dans le lyrisme et le blues. Smalltown versus Hometown. Jamais nous ne nous sommes sentis si loin de chez nous. Jamais peut-être nous ne pourrons rentrer. I came from what they call « a broken home », conclut Gil Scott-Heron. Voilà précisément de quoi parlent les nuages.
Beak, The Rolling Stones, Sad night Dynamite, Nuno Beats, Kota the Friend, Maud Lübeck, Sampa the Great, Jean-Louis Murat, Anycia, Josman, Liv East, Dijit, Honeyglaze, Victoria Monét, Vincent Staples, Yealka, Tommy Richman, Metro Boomin, Travis Scott, Rya, Trey, Otha, Pacôme Gentry, Myaaa P, Nedarb, Forest law, Joe Goddard, Barrie, Teams, Swamp Dogg, Jenny Lewis, Matt Low, Kavita Sha, Bau, Billie Eilish, RXKNephew, Peggy Gou, David Grubbs, Bronski Beat, Arnaud Rebotini, Gil Scott-Heron, Makaya McCraven.