« J’aimerais vous parler de mon amour de la Samba » parle-chante et entonne Pierre Barouh, réalisateur et scénariste du film Saravah. Des mots qui sonnent comme un exorde et une invitation à l’écoute, à l’attention. Confidence musicale et poétique plus proche du document que du documentaire, réalisée en 1969, Saravah sort en salles ce 10 juillet 2024. Pour Cult, nous nous sommes rendus à l’avant-première au cinéma Le Balzac.
Si vous pensiez que la samba n’était qu’une danse, le film saura vous surprendre. Janus aux deux visages, Saravah allie le pouvoir de l’image, de l’image négligée mais bien faite, restaurée mais ancienne à des sonorités venues d’ailleurs, du voyage ou de l’exil, au Brésil. « Tenir compte des ambiances, croiser les sons, les faire se chevaucher et ainsi prolonger l’image en sollicitant l’imagination », telle est l’intention qu’écrivait Pierre Barouh dans son autobiographie Les Rivières souterraines.
Les couleurs sont donc vives, les imperfections, rohmériennes ; alternativement jaunes, puis vertes et rouges, parfois bleues. Primaires, saturées, elles créent une impression de kitsch et de familier.
Les paroles sous-titrées sont allusives, tout juste faites pour être lues. Leur objet n’est pas la compréhension. Baden Powell, grand ami de Barouh, guitariste et compositeur brésilien, esquisse quelques mots sur Lemanja, divinité candomblé, déesse de la mer. Mais sa prétention théorique s’efface, est emportée, comme prise dans les vagues d’un continent qui ne serait pas d’ici, d’une tristesse encore méconnue ou inconnue. Peut-être est-ce une mise en récit de ce qui s’y dit car « Lemanja… », aussi titre de musique et actrice du refrain, « …c’est beaucoup de tristesse qui vient ».
Pourtant, jamais l’on n’est atterré ou l’on ne sent sa poitrine se serrer. C’est simple, simplement doux et ça fait du bien. Les Portugais préfèrent à la tristesse le terme de saudade, plus proche parente de mélancolie ou langueur. Elle semblerait plus fidèle à l’esprit, à l’impression que nous laisse Saravah. On ressort de la salle avec cette étrange sensation qu’il existe des poèmes à un mot, un seul : « saravah », omniscient mais impuissant ; saravah pour dire l’amitié, l’amour et la nostalgie ; l’amour de la nostalgie, celui qui espère mais n’attend pas. Saravah ne peut rien et pourtant, il sauve (étym.).
Le film réalise ce que Stefan Zweig, écrivain et romancier autrichien du premier XXe siècle prédisait dans Brésil, Terre d’avenir (1941) : le Brésil parviendrait à mettre à nu, au jour, alors que la guerre faisait rage en Europe, une « culture humaine et pacifique ». Attablés, entourés, souriants, Maria Bethania et Paulinho da Viola, tous deux sambistes, inventent « un sens nouveau de l’espace et du temps ». Interprétant des titres comme Nada de novo (1970) ou Andaluzia, l’air les entourant semble plus léger ; leur aura est celle d’une marginalité ne faisant jamais convention. À vrai dire, l’on ne se pose pas la question, l’on ne s’interroge pas. On suit et l’on est joliment surpris, à chaque fois.
L’intellect ne se met en éveil que lorsque l’on sort, que l’on regarde ses chaussures et qu’on y lit cet insigne, ces cinq lettres, à ses pieds : SAMBA. On se demande : que peuvent avoir de commun la paire mythique de la célèbre marque de sport, Adidas, et ce film aux couleurs venues d’ailleurs ? Créée en 1950 pour parer à d’éventuelles chutes de sportifs sur les terrains givrés lors d’hivers rudes en Allemagne, la Samba modesque, elle aussi, « sauve ». Le nom est donc bien trouvé, mais l’on se demande alors pourquoi les publicitaires n’ont pas davantage axé leur campagne sur ce pendant musical et figuratif pour faire valoir leur modèle et leurs paires aux coloris variés, surtout à l’occasion de la Coupe du monde du Brésil, la décennie passée.
Chanson aux ramifications multiples, Saravah, forme particulière et plus qu’intime de Samba, est à découvrir car dans l’air, le temps, dans l’air du temps. Initiant nos élans, elle nous ferait presque croire à ce fameux slogan, un peu d’hier, daté et trop marchand : « Impossible is nothing ».
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