Petite blonde aux airs de pin-up des années 50, la nouvelle princesse de la pop signait, le 29 août dernier, un septième album aussi audacieux que controversé.
Un an après le succès de son album Short & Sweet, la chanteuse de 26 ans revient avec un nouvel opus, Man’s Best Friend, produit par Jack Antonoff, pointure de la scène pop actuelle – qui produit notamment Taylor Swift et Lana Del Rey. Le synthé emblématique du producteur se mêle à des influences variées, de Dolly Parton à ABBA. Des sonorités entremêlant pop sucrée, disco, et parfois même country. Celle qui s’est fait connaître sur Disney Channel au début de la décennie a désormais sa place à part entière en tant qu’icône de la pop. Déjà plus de dix ans de carrière à son compteur, l’auteure-compositrice s’est émancipée de son image Disney, faisant de son franc-parler acerbe et de sa liberté sexuelle sa signature.
Malgré son image glamour façon old Hollywood, le terrain de jeu de Sabrina Carpenter, dans ses textes, est d’entrelacer une honnêteté cinglante sur ses sentiments à un humour satirique bien calculé.
Dans la douzaine de titres qu’elle propose, elle mène un récit d’une transparence désarmante, qui explore la perte de soi dans ses relations hétérosexuelles insatisfaisantes. Dans la même veine que son album précédent, on y retrouve une pop rythmée, dansante, voire entêtante. La plume narquoise de la jeune femme, qui moque assurément ses partenaires, s’amuse aussi d’elle-même. Dans Sugar Talking, elle chante :« Here we go again, crying in bed, what a familiar feeling / All my friends in love, and I’m the one they call for a third wheeling. »
Un album de confessions sur une vie amoureuse désabusée par des hommes médiocres qui la prennent un peu trop vite pour une idiote. Son sens de la punchline lui permet de reprendre le pouvoir sur ces derniers. Dans Manchild, le single de l’album : « Stupid, or is it slow… maybe useless » / « And I like my men all incompetent » / « Why so sexy if so dumb? » scande-t-elle à leur propos.
Avec l’annonce de la sortie de Man’s Best Friend, naît aussi la polémique et l’indignation parmi l’opinion publique. Une fois encore, elle joue avec les codes de la sexualisation qu’elle a l’habitude de tourner en sa faveur. Pourtant, cette fois-ci, le coup de maître est moins unanime.D’abord, un titre évocateur – qui renvoie au « meilleur ami de l’homme », le chien – est appuyé par une pochette qui fait polémique : la jeune femme s’y met en scène dans le rôle du toutou, à quatre pattes, tendant la main à un homme au visage caché, ce dernier lui tirant les cheveux, comme s’il la tenait en laisse.
Une métaphore canine qui renvoie implicitement à ses relations insatisfaisantes. Or, l’implicite a manqué de clarté. Si bien que Glasgow Women’s Aid, association de lutte contre les violences faites aux femmes, dénonce une pochette « régressive », reprochant à l’artiste, au travers de cette image aux connotations ambiguës, de glamouriser, voire d’érotiser, les violences domestiques. À une époque où les droits des femmes sont en recul constant, et les violences faites aux femmes profondément ancrées, le flou persistait quant au propos même de l’album et au choix d’une telle direction artistique.
Même si le sarcasme et une forme de sexualisation sans complexe sont une part essentielle du persona Carpenter, on lui a reproché d’ouvrir la porte à des représentations dégradantes, voire conservatrices, de la femme. Satire habile jouant sur le regard masculin, ou coup de communication basé sur la provocation ? Malgré la sortie de l’album, rien n’est sûr. La chanteuse ne s’est que peu prononcée sur la polémique. Sans attendre un manifeste politique, on attendait une esquisse de réflexion qui viendrait nourrir et élaborer ce choix audacieux et risqué de direction artistique.Car même si l’album est très bon, c’est en filigrane uniquement qu’on peut deviner ses intentions, sans réelle prise de position.
Elle en est l’exemple le plus saillant en ce moment : Sabrina joue sur cette incarnation de la pin-up décomplexée.Digne héritière de Marilyn Monroe, Brigitte Bardot ou encore Dolly Parton, elle s’empare de l’image de sex-symbol et la revendique comme une force. Là où elle excelle, c’est qu’elle se réapproprie le regard masculin (théorisé par la penseuse Laura Mulvey) en jouant avec ce motif récurrent dans la pop culture.
Sabrina Carpenter confiait à Rolling Stone :« Jamais les femmes n’ont été aussi examinées qu’aujourd’hui. » Sous le feu croisé d’opinions conservatrices et progressistes, quand il s’agit de femmes artistes, c’est toujours trop ou pas assez.
Malgré le fait que la sexualisation des pop stars soit aussi vieille que la pop musique elle-même — dans les années 90, on reprochait déjà à Madonna des titres trop explicites — le contexte actuel nécessite assurément plus de prise de position. Cette controverse remet donc en lumière la nécessité de politisation des artistes. Or, même si elle dénonce les rôles de genre dans les relations, la critique n’est pas assez subversive pour que ses intentions soient évidentes, à une époque marquée par la recrudescence des mouvements masculinistes, par exemple. Si bien que des paroles comme : “Maybe just do the dishes and I’ll give you what you want” ont une résonance anachronique, aujourd’hui contestable.
© Pochette de l’album Man’s Best Friend, sorti le 29 août 2025