Début janvier, Green Day a sorti Saviors leur 14ᵉ album. Si vous écoutiez déjà leurs disques au début des années 1990, cela signifie que vous êtes plutôt fidèles en matière de musique ! Parce qu’à l’écoute de ce nouvel opus de 15 titres, on est tenté de penser qu’en trois décennies, peu de choses ont changé dans l’esthétique musicale du trio californien.
Le tour de force de Green Day, c’est de réussir à faire toujours un peu la même musique, même après trente ans, sans qu’on y voit une ride. Un vrai Botox musical. Leur premier album, avait puisé clairement son inspiration auprès des Who (dont ils avaient d’ailleurs repris My Generation), mais aussi lorgnait du côté des Sex Pistols et des Kinks (période All day and all of the night). Leur plus-value, c’était la puissante touche de soleil électrisé made in California qui donnait envie de sauter sur son skate… ou sur quoique ce soit qui roule !
Aujourd’hui, certes, la voix et les textes du chanteur ont mûri et le niveau de production s’est musclé, certains titres sont calibrés pour séduire les radio rock, mais la bande de Billy Joe Armstrong a conservé la même candeur qu’en 1994. C’est d’ailleurs Rob Cavallo, le producteur des succès de 1994 (Rookie) et de 2004 (American Idiot avec le tube Boulevard of broken dreams) qui a aidé à la mise en forme d’un album qui fait la part belle aux riffs simples, marque de leur style et origine de leurs succès.
Mais au-delà de cette présentation anecdotique, la sortie de Saviors est l’occasion de se poser deux questions : Qui écoute du punk-rock californien de nos jours ? Et qu’est-ce que cela dit, aujourd’hui, des publics de Green day ? S’il est inutile de nier qu’il y a parmi eux beaucoup de représentants de la Generation X, le carton du début des années 2000 de l’album American Idiot et ses seize millions de ventes avait participé à rajeunir les fans du groupe. Mais il est vrai que c’était déjà, il y a vingt ans et qu’il faut bien constater que tout ce petit monde a gentiment vieilli avec ses idoles. Cette question de génération n’est pas anodine parce qu’elle est au cœur de l’expérience d’écoute de ces artistes.
Quand on appuie sur Play pour lancer le titre The american dream is killing me, qui ouvre l’album, c’est une machine à remonter le temps qui se met en route. Saviors est calibré pour vous renvoyer mentalement 30 ans en arrière. La machine Green Day réussit ce miracle de faire croire à celui qui les écoute qu’il est à la page. Et c’est sans doute ce que l’on cherche avec ceux-là. On aime qu’ils nous rassurent, nous réconfortent. On veut ressentir l’excitation punk sans risque de mauvaises surprises pour les oreilles. Billy Joe Armstrong a beau louer le processus de création des Beatles, il n’engage jamais sa formation hors des sentiers battus. Vous voulez leur son d’origine ? Vous l’aurez. Ce nouvel album laisse à peine l’espace à quelques violons pour un pont rapide dans The American dream is killing me, ou discrètement et sans fioritures dans Father to sun. Ici, tout est fait pour convaincre que Green Day détient les clés du royaume de ce punk rock FM taillé pour les grandes scènes des festivals. Certains titres s’en ressentent particulièrement comme One Eyed Bastard qu’on jurerait être un hommage ou un clin d’œil à leurs collègues de The Offspring et Corvette Summer, un hymne digne des Beach Boys sous stéroïdes, au tempo plus lent que les habituels paterns du groupe. Un titre parfait pour votre prochain road trip.
En résumé, Saviors est sans doute enfin le digne successeur d’American Idiot, tant au niveau des textes, des thèmes, et de l’aspect mélodique. Si cet album est légèrement moins pop que son prédécesseur de vingt ans son aîné il propulse pourtant allègrement toute l’énergie fédératrice du punk rock californien, style musical que Green Day a largement contribué à rendre populaire mondialement.
Que feront Green Day en 2034 ? Sûrement de la bonne musique, évoquant avec une nostalgie narquoise les années 80 ou 90 et le poids des responsabilités de la vie d’adulte, lucides sur l’état du monde et particulièrement celui des USA. Un peu comme aujourd’hui en somme. Et vous ? Vous aimerez toujours ça.