Dans l’univers du rock, Craig Finn se distingue comme un auteur-compositeur new-yorkais au caractère singulièrement unique. Membre créateur du groupe « The Hold Steady » , « Always been » est son sixième album solo.
Dès la première immersion dans « Bethany » et surtout dans « People of Substance », on est instantanément captivé par sa dynamique évocatrice, rappelant l’intensité caractéristique de Bruce Springsteen. Les musiciens qui l’accompagnent, sous la direction du grand guitariste et producteur Adam Granduciel, intensifient cette sensation de connexion immédiate. L’œuvre déploie une musique d’une qualité remarquable, robuste et mélodieuse, rappelant également l’héritage musical du groupe The Band.
La véritable essence de Finn réside dans son art narratif. Sa technique de composition, inspirée des ballades traditionnelles, tisse des récits complets en s’affranchissant des refrains pour préserver l’intégrité de la narration.
C’est précisément cette approche qui constitue sa force majeure. Dès les premières notes de l’album, il nous entraîne dans des fragments d’existence, décrits avec une plume à la fois délicate et accessible, créant une envie irrésistible de découvrir le récit suivant, puis encore le suivant… telles les pages tournées d’un recueil de nouvelles.
Sur le morceau « Fletcher’s », Finn délaisse même le chant pour une approche parlée, tandis que l’atmosphère créée par les synthétiseurs d’Adam nous rappelle subtilement la nature musicale de l’œuvre.
« Ceux que nous connaissons depuis le plus longtemps peuvent nous tirer vers le bas le plus fort. J’ai mis mon bras autour d’elle et nous nous sommes assis à regarder l’eau. Jaloux du mouvement du courant, mais peut-être que pour un moment c’était assez bien ici. »
Dans la majorité de ses compositions, Finn privilégie la narration à la première personne, intensifiant l’immersion dans ses histoires. Il dépeint une Amérique profonde, celle qui a peut-être accordé son vote à Trump par désillusion face aux promesses brisées de l’existence.
Avec une sensibilité palpable, avec son personnage du pasteur en plein désarroi, il aborde des thématiques universelles : la spiritualité, les fêtes qui s’achèvent dans la mélancolie, et l’exil qui, malgré la distance, ne transforme pas fondamentalement le cours d’une vie.
« J’ai pris Clayton comme nom le jour où ils ont dit que j’étais sauvé. Ils ont dit que le Seigneur a juste tendu ses mains et m’a formé à partir d’argile.
J’ai dit à Emily que je suis fauché en ce moment. Mais je ne suis pas celui à blâmer. Le Seigneur m’a fait ainsi. Le Seigneur m’a fait ainsi »
Le magazine musical Uncut caractérise son écriture comme des « récits moins portés par l’exposition verbeuse d’antan que par l’observation aiguë, le détail dévastateur, tour à tour exclamatoire, épigrammatique et authentiquement brut. ».
Ne vous méprenez pas cependant : l’alternance habilement orchestrée entre ballades contemplatives et morceaux plus énergiques transcende la tonalité mélancolique des paroles, créant une œuvre dont l’ensemble dégage une authenticité profondément attachante.
Une mention particulière doit être accordée à « A Man Needs a Vocation », avec son superbe travail de guitare, ainsi qu’à « Postcards », où Sam Fender, étoile montante de la scène rock britannique, enrichit la composition par sa voix.
Alors, installez-vous confortablement dans votre fauteuil favori, ouvrez le recueil de nouvelles musicales intitulé « Always Been », et laissez-vous transporter vers une Amérique alternative, loin des sentiers battus.
Note : le terme de « nouvelles musicales » a été emprunté à Robert Christgau
Visuel : ©Dan Monick