Le 3 décembre 2023, en l’église Saint Thomas d’Aquin à Paris, l’ensemble vocal Sul Fiato, sous la direction de Mathieu Cabanès interprète le Requiem XIX de Laurent Couson avec Marie-Josée Matar soprano, le pianiste Clément Rataud et l’Ensemble Magnifica. Laurent Couson nous expliquera le sens qu’il donne à son œuvre.
Le Requiem XIX a été créé en l’église Saint Médard, le 30 Janvier 2021. D’écriture classique, l’œuvre est très originale. Les textes sont chantés en trois langues, le latin, l’arabe, l’hébreu. Elle est nourrie par le mythe de la Tour de Babel «cet escalier sans fin qui devait monter aux cieux». L’orchestration est originale aussi, comprenant l’Ensemble Magnifica, un quintette pour cuivres, un piano et quatre timbales. Laurent Couson a gardé la structure d’un requiem mais il est enrichi de poèmes ou prières arabes et juifs.
Babel, est un très beau récital chanté en français, évoquant un psaume. La voix de la soprano libanaise Marie-Josée Matar frappe d’emblée, une voix lyrique, envoûtante mais aussi très pure. Un dialogue s’installe avec les chœurs d’hommes puis de femmes avec beaucoup de douceur, beaucoup d’harmonie. Il se poursuit lors du Lacrimosa, la musique est un réconfort, une consolation. Puis la puissance des cuivres et des timbales éclatent, avec un Dies Irae martelé, très rythmé, révélant la colère divine ou humaine. Qobour signifie nos tombes en arabe. Les musiciens chantent devant des tombes ouvertes, dans un hommage aux morts. Une musique limpide, cristalline très émouvante comme le sont les duos entre la soprano et le piano puis avec la trompette. La méditation se prolonge lors de l’offertoire. Le piano chante seul révélant le talent de Clément Rataud. La mélodie est douce, très belle mais dans les graves le Dies Irae gronde encore. Pour Laurent Couson le Shir Hashirim le cantique des cantiques porte la solution: «l’amour est plus fort que la mort». Le chœur, le piano, la soprano dialoguent, dans cette prière, dans ce chant d’amour. Requiem Aeternam est chantée en trois langues, le repos est obtenu dans la fraternité. L’Apothéose finale est grandiose, joyeuse célébrant le triomphe de la vie.
Ce requiem XIX nous habitera longtemps, grâce à la beauté de la musique, au message de concorde porté par l’œuvre. Un requiem essentiellement en mode majeur qui célèbre une renaissance.
Jean Marie Chamouard: Vous êtes pianiste, chef d’orchestre et compositeur. Parlez moi de votre parcours de musicien.
Laurent Couson: Je suis compositeur et chef d’orchestre après des études musicales classiques. J’ai écrit beaucoup de musiques de films, en particulier avec Claude Lelouch. J’ai toujours été passionné par l’écriture d’œuvres religieuses.
JMC: Vous avez été directeur musical de l’Orchestre des Trois Cultures à Rabat et Séville. Que vous a apporté cette expérience professionnelle ?
LC: J’y suis resté cinq ans. J’ai travaillé des textes hébreux, arabes et chrétiens. Je me suis investi dans l’œcuménisme et le dialogue interreligieux. Et j’ai toujours rêvé d’écrire une œuvre qui rassemblerait les trois langues des trois religions du livre.
JMC: Requiem XIX fait référence au Covid 19. Comment avez-vous mis à profit cette période si particulière pour composer ?
LC: Cela m’a permis de trouver le temps pour écrire, jour et nuit. Pour écrire une œuvre spirituelle, il faut s’isoler du monde, rentrer dans son intériorité.
JMC: Pourriez vous m’expliquer la signification en hébreu du chiffre 19.
LC: 19 est un symbole hébraïque de fraternité. Il signifie tendre la main.
JMC :Requiem 19 raconte le mythe de la Tour de Babel qui est présent mais avec un sens différent dans les trois monothéismes. Quel sens retenez vous à ce mythe.
LC: C’est le point de départ de la construction du requiem. L’erreur des hommes était d’aller tous dans la même direction avec les mêmes gestes, la même langue. L’erreur c’était l’uniformité. Dieu, ou le destin détruit cette tour pour restaurer une diversité humaine et de langages. Il veut nous rappeler qu’aller vers l’autre est nécessaire mais que cela implique un effort, une curiosité, une tolérance.
JMC: Quel message peut délivrer le concert de cet après midi?
LC:Les trois langues se rejoignent dans le requiem. Il voudrait créer un homme nouveau enrichi par les trois cultures, fort de sa curiosité et de sa tolérance.
JMC: Votre musique est mélodieuse, tonale. Quelles seraient vos sources d’inspirations.
LC: Tous les grands réquiems. Je penserai à Schumann. Je suis amoureux de ses œuvres religieuses, de leur spiritualité. Babel est une fugue, je pourrais aussi évoquer J.S. Bach.
JMC: Votre orchestration donne une grande importance aux cuivres et ne comporte pas de cordes. . Qu’avez-vous recherché ?
LC: Les trompettes et les timbales sont les instruments du requiem. Je voulais garder un son un peu brut, âpre pour privilégier la voix. L’harmonie est confiée au piano. Avec une orchestration réduite, jouer cette œuvre devient plus facile pour des chœurs amateurs.
JMC: Pour vous, l’art est sacré. Il doit pouvoir réparer, sauver. Pourriez-vous m’évoquer le rôle de l’artiste en ces temps difficiles.
LC: Cette œuvre est la réponse modeste d’un artiste engagé aux conflits du monde. Elle prône la fraternité, la paix, la tolérance pour l’enrichissement de chacun.
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