Le répertoire italien est au cœur des succès de Riccardo Chailly depuis qu’il est le directeur musical de la Scala de Milan, un poste qu’il conservera jusqu’en 2026. C’était donc un programme centré sur les ouvertures et quelques chœurs célèbres de Verdi, puis de Rossini, que le chef nous a proposé à la philharmonie de Paris pour sa participation aux Prem’s de la rentrée.
L’orchestre et les Chœurs de la Scala de Milan succédaient à l’orchestre de la Philharmonie de Berlin et à celui de Leipzig dans la série des grandes formations que la Philharmonie de Paris s’est fait fort d’inviter dans ce nouveau format où une partie du public était debout au parterre avec des places à 15 euros. Ces Prem’s accueillent un public rajeuni, et la salle bien remplie prouve le succès du concept et honore une fois encore les judicieux choix de la direction de la maison.
En ouvrant le bal avec l’ouverture de La battaglia di Legnano (1849), opéra de la période intermédiaire de Verdi, situé juste avant Luisa Miller (1850) et Rigoletto (1851), Chailly ne choisit pas l’œuvre la plus impérissable de Verdi. Verdi la compose essentiellement pour des raisons politiques, son fervent soutien au Risorgimento, ce mouvement pour l’unité nationale de l’Italie et notamment la libération de la Lombardie du joug autrichien. Les titres des chœurs s’en ressentent évidemment – « Viva Italia ! Sacro un patto » et « Plaude all’arrivo Milan dei forti » -, tout comme d’ailleurs la facture très martiale de cette ouverture dont Chailly souligne abondamment les contrastes tandis que les choristes sous la direction de Alberto Malazzi, donnent de la voix de manière impressionnante saturant l’espace immense de la grande salle Pierre Boulez.
Après cet échauffement, on passe à l’ouverture de I due Foscari (1844), un Verdi plus ancien et plus souvent donné que le précédent, illustré également par le très brillant chœur « Silenzio, mistero » magnifiquement interprété, et qui recueille une ovation particulièrement méritée. L’orchestre, disposé plus classiquement que celui de Kirill Petrenko deux jours avant, avec ses cordes en clé de fa regroupées à gauche du chef, sonne bien ; les cordes sont soyeuses, les cuivres tonitruants, les percussions marquent la pulsation avec talent.
Avec La Traviata (1854), on aborde alors les « tubes » de l’opéra, le prélude délicieux et rêveur de l’acte 1 où l’orchestre sous la direction de Chailly offre une très belle interprétation, mais aussi les trois chœurs successifs, celui de la fin du bal, les chœurs féminins des « bohémiennes » et le chœur masculin des « matadors » avec ses trompettes.
Et l’on peut apprécier l’évolution stylistique et musicale de Verdi avec les extraits d’Otello (1887) l’un de ses derniers opéras, quand le compositeur prodige a réussi à s’éloigner résolument de l’influence rossinienne dominante en Italie au milieu du siècle classique, pour se lancer dans des compositions plus audacieuses, dont l’orchestration est infiniment plus intéressante et a largement construit sa légende.
Chailly est parfaitement à son aise d’ailleurs dans ce Verdi plus piquant, plus contrasté, qui recherche les effets dramatiques et les rend présents à chaque mesure. Les chœurs nous offrent ainsi un très dynamique « Fuoco di gioia ! » de l’acte 1, joyeuse célébration du retour des navires victorieux et hymne à l’amour suivi du mélancolique « Dove guardi splendono » de l’acte 2. Mais le choix le plus original de Chailly est celui des ballets (Ballabili) que Verdi fut contraint d’ajouter pour la création de la version française d’Othello en 1894, et qui sont très rarement joués. On regrettera cependant qu’il n’ait pas choisi avec sa phalange luxueuse, de nous offrir l’Allegro agitato qui ouvre l’œuvre avec son formidable coup de tonnerre à réveiller tout spectateur imprudemment assoupi.
La deuxième partie, à rebours de la chronologie des œuvres, aborde quelques grands airs de Rossini situés là aussi à différents moments de sa carrière.
En commençant par la très pétillante ouverture de La gazza ladra (La pie voleuse, 1817), Chailly s’attire aussitôt l’enthousiasme du public tant cette Sinfonia brille de mille lumières et crépite comme un véritable feu d’artifice. Roulement de caisse à gauche et à droite en ouverture, marque cette très belle composition qui multiplie les prouesses techniques annonçant l’enjoué « Tremate, o popoli » qui suit où les chœurs se déchainent. Et l’on en dira autant de l’admirable extrait de Semiramide (1823) qui suit : « Ergi omai la fronte altera ».
Mais Chailly et son orchestre nous ont réservé le meilleur pour la fin avec l’ouverture de Guillaume Tell (1829) son dernier opéra, qui représente une sorte de concentré de tout l’art de Rossini avec ses débuts en solo de violoncelles, et une insolente modernité qui marquera toutes les compositions lyriques de cette première moitié du vingtième siècle. Le « Passo a tre e Coro Tirolese » des chœurs est très bien scandé et offre des couleurs admirables.
On regrettera que le maestro ait laissé le public applaudir après chaque morceau, ce qui alourdit incontestablement le déroulé du programme. Et peut-être aurait-il été plus judicieux de commencer par Rossini pour mesurer les évolutions musicales de ce siècle qui vit autant de remarquables compositions lyriques.
Un bel après-midi donc pour la suite de ces Prem’s qui s’achèveront la semaine prochaine avec le concert de l’Orchestre de Paris sous la direction de Klaus Mäkelä.
Orchestre et choeurs de la Scala de Milan sous la direction de Riccardo Chailly dans Verdi et Rossini
Dimanche 7 septembre
Prem’s de la Philharmonie de Paris
Photos : personnel.