Ce 19 juillet, sur la Scène du Lac, deux générations du pop rock – la légendaire Alanis Morissette, précédée par la jeune Norvégienne Sigrid en ouverture – clôturent cette 59ème édition du Montreux Jazz avec un moment de fraîcheur et de bienveillance, et surtout, une excellente performance vocale et scénique.
La pluie s’est arrêtée pour accueillir Sigrid Solbakk Raabe, dite Sigrid, dans les meilleures conditions sur la Scène du Lac. La chanteuse norvégienne de 28 ans a été révélée au public international en 2017 avec la chanson Don’t Kill My Vibe, avant de remporter le prestigieux prix The Sound of 2018 de la BBC. Inspirée par Adele, Joni Mitchell, Neil Young et Coldplay, Sigrid est l’une des voix les plus en vue de la scène pop rock. Avec ses deux albums – Sucker Punch et How to Let Go, Sigrid cumule plus de 1.5 milliards de streams. Elle gère remarquablement bien son image, tout en gardant un naturel désarmant.
Souriante, énergique, en jeans et T-shirt, Sigrid captive le public de quinquas avec sa « bonne vibe ». Elle ouvre le set avec I’ll Always be Your Girl et une simple introduction : « Je suis Sigrid et ça c’est mon groupe ». Sondre Abrahamsen (guitare), Kasper Waag (percussions), Peder Kolsung (clavier) et Liva Sværen (basse et voix) hochent la tête en direction du public et se lancent dans Burning Bridges de son dernier album. Les images des voitures sur l’autoroute défilent sur l’écran LED au fond de la scène.
Au-delà de sa voix qui n’est pas sans rappeler celle d’Alanis Morissette, la production de Sigrid est très bien ficelée et le show se déroule comme une machine bien huilée. Après Plot Twist, Sigrid chante Borderline avec sa superbe séquence de basse qui rappelle le son de l’ancien Yamaha DX-7. Devant une succession d’images inclusives de couples – on y voit même Mickey et Minnie Mouse – on retrouve le son et l’énergie insouciante des années 80. Sigrid est clairement un bel exemple de la « superbe jeunesse » que le directeur du Montreux Jazz, Mathieu Jaton, a célébré lors de la conférence de presse de clôture.
Après High Five, un single de 2018, Sigrid annonce : « J’ai passé plus d’un an au studio et j’aimerais vous jouer quelques nouvelles chansons ». Sans tarder, elle enchaine avec Do it Again et son dernier single, Jellyfish, paru en 2025. Une charmante animation sous-marine accompagne cette chanson joyeuse et frivole qui rappelle le son indie du début des années 2000. Sigrid infuse Don’t Feel Like Crying, une chanson entraînante sur la rupture.
La jeune star qui voulait être avocate introduit la chanson suivante : « Nous avons dormi 2-3 heures cette nuit, nous arrivons directement d’un festival en Norvège », explique-t-elle avec le sourire, « mais c’est un bonheur que d’être ici. Ma famille vivait en Suisse. Ils sont ici ». Elle fait un signe de la main à sa famille qui s’agite également dans le stand VIP. « Suis-je fabriquée en Suisse? », sans attendre la réponse, elle chante Home To You solo.
Sigrid déroule ensuite la séquence pop de son album The Hype, It Gets Dark et Fort Knox. Elle chante, danse et couvre la scène avec l’enthousiasme et l’énergie craquante d’un chiot malinois : ambitieux, drôle et brillant. Après le tube qui l’a rendue célèbre, Don’t Kill my Vibe, Sigrid chante encore Mirror, annonce une dernière chanson – Strangers – et boucle le spectacle à 20h58. Les cinq musiciens s’attrapent par les mains, s’inclinent devant le public et quittent la scène à 21h00. Le doute sur sa fabrication suisse ainsi levé, Sigrid laisse à Alanis Morissette un public tonifié et une météo au beau fixe.
Treize ans après sa dernière venue en 2012, l’égérie rock des années 1990 revient pour la quatrième fois au Montreux Jazz Festival. Alanis Morissette sera la toute dernière artiste à se produire sur la sublime et éphémère Scène du Lac, avant le retour du Montreux Jazz au Centre des congrès l’année prochaine pour sa 60ème édition.
Les spectateurs de tous âges se pressent vers le devant de la scène après le changement du plateau pour assister à ce concert attendu. La star canadienne, née Alanis Nadine Morissette à Ottawa le 1 juin 1974, compte parmi les musiciennes les plus acclamées de la planète. Elle a explosé sur la scène mondiale en 1995 avec son premier album Jagged Little Pill qui s’est vendu à 33 millions d’exemplaires, décrochant ainsi le titre du premier album le plus vendu de l’histoire.
Décrite comme « la reine incontestée du rock alternatif » par le Rolling Stone et un peu moins connue comme triathlète et ministre ordonnée de l’Église universelle, Morissette a remporté treize prix Juno et sept Grammys. Pendant les trois premières minutes, les spectateurs pourront revisiter tous ses succès et ses prises de position sur l’écran. Ses messages en soutien d’un grand nombre de causes humanitaires et politiques défileront sur le fond de la scène en alternance avec les différentes phases d’une immense lune.
Morissette ouvre le show avec un grand tube – Hand In My Pocket – de l’album Jagged Little Pill. Le public chante avec elle. Pantalon en similicuir marron, débardeur noir et une petite laine noire, cheveux dans le vent et harmonica aux lèvres – Alanis Morissette enchaine ses chansons emblématiques – Right Through You, Reasons I Drink – comme si les nineties c’était hier. Sa voix est légèrement plus grave, mais tout aussi puissante, riche et à fleur de peau qu’il y a trente ans.
Le public ainsi échauffé, Alanis Morissette passe à la séquence tirée de son album Under Rug Swept de 2002, A Man et Hands Clean, avant de retourner aux années 1990 avec la déchirante chanson sur le désir obsessionnel Can’t Not. Même si Alanis Morissette a clairement dépassé la rage et la frustration qui ont nourri ces chansons au début – et c’est tout ce qu’on lui souhaite – elle arrive à convoquer une émotion authentique et forte.
Elle chante Head Over Feel solo avec une guitare acoustique et impressionne avec des aigus impeccables dans Everything (et plus tard, dans Perfect), avant d’entrainer le public avec You Learn, une chanson self-help positive sur les leçons à tirer des mauvaises décisions. Un piano est installé pour Rest et tout au long de la soirée le staff du MJF change les guitares d’au moins trois personnes sur scène avec une efficacité redoutable.
Comme Sigrid avant elle, Alanis Morissette nous réserve également un moment familial lorsqu’elle invite ses trois enfants (avec l’artiste hip-hop américain Souleye) sur scène. D’une voix un peu chancelante, ils chantent le refrain d’Ironic avec elle avant de se sauver. Pendant toute la durée de la chanson, des photos de Morissette sur scène aux quatre coins du monde défilent sur l’écran. Comme pour démontrer qu’elle n’a rien perdu de son énergie explosive, Morissette court, saute et investit la scène d’un bout à l’autre d’une présence charismatique et imposante.
Après une dernière brochette de tubes qui inclut All I Really Want et You Oughta Know, Alanis Morissette remercie le public avec la chanson Thank You. Pendant ce temps, des messages de remerciements des fans dans toutes les langues défilent derrière elle. « Tes chansons m’ont appris à me pardonner », écrit une admiratrice en français. Alanis Morissette, qui anime un podcast consacré à la « guérison, la plénitude et le rétablissement » sur sa page web ne peut que s’en réjouir. Voilà une belle retraite en perspective … mais pas tout de suite !
Visuels : Sigrid : © MJF / Thea Moser, Lionel Flusin, Emilien Itim ; Alanis Morrissette © Hannah Starman