Philharmonie de Paris : une vision enchanteresse de « Peau d’âne » en ciné-concert

Le concept séduisant de ciné-concert

La Philharmonie de Paris propose depuis quelques années des séances de « ciné-concert » avec quelques beaux titres de films culte dont la bande-son originale est remplacée, pour la musique, par l’exécution directe par un orchestre, complété si nécessaire par des chœurs.

Nous aurons ainsi en février prochain, le film muet de Murnau, le fameux « Aurore » avec Thierry Escaich, lui-même compositeur, se livrant à des improvisations pendant la séance de cinéma. Quand on connait le talent de l’organiste d’une part, les qualités exceptionnelles de l’orgue de la Philharmonie, on comprend qu’il s’agira d’une soirée exceptionnelle.

Concernant l’un des chefs-d’œuvre du couple Jacques Demy/Michel Legrand, « Peau d’âne », film musical, l’entreprise était un peu plus compliquée puisqu’il s’agissait de doubler la magnifique musique d’accompagnement ainsi que les chœurs, tout en laissant la bande-son originale concernant les dialogues parlés et les chants qui ponctuent le film.

C’est le Yellow Socks Orchestra, placé sous la direction de Nicolas Simon qui joue l’une des plus belles partitions de Michel Legrand. L’orchestre a été créé en 2015 par la structure de production uGo&Play, précisément pour assurer cette musique sur image en respectant scrupuleusement la nécessaire synchronisation au millimètre, tout en donnant sa propre et vivante interprétation. Il s’est déjà fait connaître en accompagnant de nombreux films diffusés sur grand écran comme « Harry Potter », « La La Land » et « Jurassic Park ».

Ce beau travail rend très facile d’accès pour tous, à ces films tout en valorisant leur partie musicale. Nicolas Simon, chef principal du Yellow Socks Orchestra, dirige cette version ciné-concert avec une fougue, un entrain et un talent qui montre sa solide expérience du genre.

Et l’on apprécie différemment les qualités symphoniques de Michel Legrand et sa musique si reconnaissable dans son mélange habile et séduisant de classique, de jazz et de variété style  musical. Le thème principal sous forme de fugue baroque, s’y déploie avec force dès l’ouverture pendant le générique et revient à plusieurs reprises dans la partition, où vont arriver progressivement d’autres leitmotivs orchestraux soulignant l’originalité toujours reconnaissable de Michel Legrand à qui l’orchestre rend d’autant plus hommage qu’il a dirigé son dernier concert en 2018, à la Philharmonie de Paris dans cet écrin acoustique fabuleux.

Charles Perrault revisité

Le film de Jacques Demy reste un « classique » de cette époque pop et psychédélique des années soixante-dix, marquée par l’esthétique d’Andy Warhol et les fantaisies colorées du cinéaste, toujours en étroite collaboration avec son compositeur préféré Michel Legrand, avec lequel il avait déjà réalisé « les Parapluies de Cherbourg » et « les Demoiselles de Rochefort », lesquelles connaissent également un regain avec l’immense succès de la comédie musicale très réussie donnée pour des mois encore, au nouveau Lido à Paris.

Qu’on y trouve l’élégance rétro d’alors ou qu’on découvre le genre, il est incontestable que le charme très spécifique de l’alliance Demy/Legrand opère toujours comme à l’époque de la sortie du film qui fut l’un des plus grands succès au box-office du cinéaste.

Avec ses riches couleurs parfois surexposées, ses scènes fantastiques dans des décors naturels, le fameux escalier de Chambord en double hélice, ses lits et trônes royaux entourés d’animaux, sa fée qui perce le plafond tendu de ces papiers peints aux couleurs criardes dont l’époque raffolait, son monde « bleu » et son monde « rouge » avec chevaux peints à la bonne couleur, celle de la princesse ou celle du prince, Demy réalise un film à mi-chemin entre le conte d’autrefois et l’histoire édifiante d’aujourd’hui.

Il respecte scrupuleusement le récit issu de l’un des contes de « ma mère l’Oye » de Charles Perrault, sans esquiver la question centrale, celle de l’inceste puisque le roi demande la main de sa fille, transgression qui est à l’origine de toute l’histoire.

Mais en même temps, il prend plaisir à insérer son histoire dans les temps présents, au travers de dialogues très actuels, des chansons qui fleurent bon les réminiscences de ses propres films précédents dans le style et le rythme – Michel Legrand semble vouloir se parodier lui-même par instant- et qui deviendront des tubes très seventies, et de quelques détails croquignolesques comme l’arrivée du Roi et de la Fée en hélicoptère lors de la fête en plein air des Noces des jeunes tourtereaux au milieu d’une foule portant des masques d’animaux à la Gustave Doré.

Les costumes et les coiffures sont « Louis XIV » avec un soin du détail remarquable, depuis les nobles des deux châteaux, jusqu’aux « souillons » des arrière-cuisines et le défilé des prétendantes essayant la bague, montre un véritable maelstrom de conditions sociales diverses portant chacune les attributs de leur fonction d’alors. On notera aussi l’obsession de Demy pour la nature présente sous forme d’une végétation luxuriante envahissant les murs et les plafonds du château bleu, ou de cette forêt où Peau d’âne a trouvé refuge au fond d’une chaumière.

Distribution de légende

Sur l’écran très large ouvert devant l’arrière-scène de la grande salle de la Philharmonie de Paris, le film prend très belle allure et l’on se réjouit de pouvoir le voir (revoir) dans des conditions aussi optimales valorisant les images un peu magiques de l’univers de Jacques Demy en synchronisation parfaite avec celui de Michel Legrand.

L’on se prend l’envie de chanter « l’amour, l’amour » ou « la recette du cake d’amour ».

Jacques Demy avait, de plus, choisi certains de ses acteurs fétiches depuis ses précédentes comédies musicales, notamment le couple qui ne se rencontre qu’à l’ultime image dans « les Demoiselles de Rochefort », Catherine Deneuve et Jacques Perrin, pour incarner la princesse soumise à un parcours initiatique et symboliste très dur qu’elle aborde sans cesse avec le sourire, et le Prince, un rien niais et rêveur, qui se montrera très obstiné pour retrouver sa belle.

Comme la fée des Lilas est incarnée par la merveilleuse Delphine Seyrig et le Roi aux désirs incestueux par Jean Marais, l’ensemble est évidemment très bien joué et chacun des personnages, tout en adoptant ce style très spécifique à Demy, campe son rôle en gardant à l’esprit le fait qu’il s’agit avant tout d’un récit ludique qui se termine bien et n’offre d’ailleurs jamais de véritable passage tragique ou effrayant.

Des anecdotes nombreuses racontées autour du tournage, on retiendra le fait (qui serait impossible aujourd’hui !) que la peau d’âne que la pauvre Deneuve traîne avec elle durant une bonne partie du film, était véritable et qu’il fallait sans cesse la désinfecter (tout en cachant à l’actrice son origine), que Coluche y joue un tout petit rôle durant la chanson « Les insultes », que le budget alloué par le producteur fut littéralement explosé ce qui faillit compromettre toute l’opération et que Brigitte Bardot fut d’abord pressentie avant que Demy ne se décide pour Deneuve après l’avoir engagé avec succès pour ses deux précédents films, même si ce n’est pas elle qui chante, mais Anne Germain, doublure attitrée.

Peace and Love dans un conte moyenâgeux, c’était assez osé, mais ça fonctionnait très bien et aujourd’hui encore, le succès des trois séances organisées par la Philharmonie tandis que France TV, Arte et Canal plus offre le film à leurs téléspectateurs pour les fêtes de fin d’année, prouve que la jeunesse de l’entreprise reste très séduisante.