Patti Smith donne l’onction à la poésie punk à Fourvière

par Prune Fargetton
18.07.2024

Patti Smith a récemment fait parler d’elle pour ses livres, notamment en France une édition d’Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud, illustrée et commentée par elle. Elle n’enregistre plus de disques depuis dix ans, mais donne encore des concerts. Le 16 juillet à Fourvière, elle était émouvante et géniale, et l’on ne savait trop si elle donnait l’extrême onction à ses arts, la poésie et la musique, ou s’il s’agissait d’un nouveau baptême.

Simple papesse

Un clair soir de juillet à Lyon, Patti Smith arrive sur scène simplement, avec ses musiciens et un mug beige. En blue jean, veston noir sur un tee-shirt blanc et paire de baskets, ses cheveux gris tressés, la papesse beatnik dit son enthousiasme de se produire pour la septième fois à Fourvière. Sans fioriture, elle chante «Summer Cannibals».

Eruptions criées

Ce morceau semble une annonce de ce que sera le concert : écrit dans les années 90, comme une épopée à mi-chemin entre ses grandes années punk et notre temps, sa mélodie à trois accords est rock, classique, et son refrain dynamite. Il semble un poème, avec des éruptions criées qui évoquent déjà l’engagement de long cours que l’on connaît à la musicienne.

Chaleur intime

Elle joue ensuite Redondo Beach, et son quartet de musiciens (le bassiste Tony Shanahan à la basse, le batteur Seb Rochford, le guitariste Jackson Smith – son fils) choisit un accompagnement moins reggae de l’enregistrement d’origine. Patti Smith interprète également «Long Black Coat» de Bob Dylan, dans une lumière rose. Le public redouble d’applaudissements à chaque morceau, et l’encourage lorsqu’elle se trompe sur un refrain qu’elle reprend ensuite avec des variations audacieuses, avec justesse. L’ambiance est chaleureuse, intime.

Papa Johnny et la maman de Baudelaire

Dans «Cash», elle raconte l’histoire du musicien country éponyme, Johnny Cash. Elle rend hommage aux artistes qui ont influencé son propre parcours. Ses intermèdes sont des mots à la foule ou des textes aux accords électriques, comme lorsqu’elle décrit un épisode de la vie de Charles Baudelaire esseulé à Bruxelles, buvant du mauvais vin et pensant à sa mère.

Virées rapides et amoureuses

Patti Smith chante «Summertime Sadness» de Lana Del Rey, en hommage à son défunt époux, Fred Dewey Smith. En pleurs, elle adapte à sa façon, libre et avec des notes dissonantes, ce morceau qui lui rappelle les virées rapides et amoureuses en voiture à travers l’air américain. Puis, encore pour Fred, c’est «Because the Night», que le public reçoit aussi comme un cadeau : l’ambiance confidentielle s’échauffe et les paroles sues par cœur, délivrées à tue-tête, couvrent même parfois la voix de la chanteuse.

Technique et rondeur

Ses musiciens sont excellents, prestes, tout a l’air facile pendant des solos extraordinaires de technique. Leur jeu exhale l’amitié et la confiance qui règne entre eux quatre, les prouesses électriques sont réhaussées par cette rondeur. Elle a écrit certains morceaux il y a vingt ans avec Tony Shanahan, comme « Peaceable kingdom » destiné au peuple palestinien, un engagement qu’elle réaffirme ce soir. Tout y est, c’est Patti Smith mélancolique, engagée, énergique, hurlante, chaleureuse. Et parmi toutes les chansons qu’elle dédicace à ses héros, à ses amours, le public peut lui rendre hommage en live sur des classiques comme «Dancing Barefoot».

Rappels mortuaires

Mais les éloges funèbres reprennent, cette fois pour les trente ans de la mort de Kurt Cobain. C’est noir, c’est émouvant, mais au bout de cinq ou six rappels mortuaires, un peu lassant qu’ils soient chaque fois énoncés comme tels. On découvre pourtant une très belle chanson, «About a boy» qu’elle a écrit en référence à l’hymne grunge «About a girl» de Nirvana. Puis, elle chante «Smells like teen spirit». On se laisse porter par l’air entendu des milliers de fois, on se secoue comme il faut, comme elle le fait, et après tous ces classiques covers altérés par « Patti », on est bien. Le concert se clôt sur ce qu’elle voudrait qu’on en retienne : « People have the power ».

Seule idole la Poésie

La punkette aujourd’hui n’enregistre plus, elle écrit. Et si à 77 ans, après une carrière d’un demi-siècle, elle aurait aisément pu livrer un concert-tribute, à Fourvière ça n’y ressemblait pas. Les hommages étaient nombreux, mais ils étaient voués à la poésie, à la musique, à la liberté, et pas à ses hits – elle n’a même pas interprété sa plus célèbre chanson, « Gloria ». Ses messages aux morts étaient parfois un peu tristes, accotés ainsi, presque sinistres, mais ils étaient sincères et compensés par une énergie intense, punk encore et toujours, et une bienveillance reconnaissante, indulgente, du côté du public.

Visuel (c) Prune Fargetton