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« Nouveaux horizons » s’ouvre avec deux créations mondiales : Camille Pépin et Christopher Trapani à l’affiche le premier jour du festival aixois

par Hannah Starman
17.11.2023

La quatrième édition du festival Nouveaux Horizons, créé par le violoniste Capuçon et l’altiste Gérard Caussé en 2020, ouvre ce 10 novembre au Conservatoire Darius Milhaud à Aix-en-Provence. Pendant trois jours, ce festival entièrement gratuit et consacré à la création musicale rassemble la nouvelle génération de compositrices et compositeurs autour de jeunes musiciens lors de trois concerts qui juxtaposent créations mondiales et œuvres du répertoire.

Trio avec clarinette, op. 11 de Ludwig van Beethoven : Julia Hamos, Joë Christophe et Maxime Quennesson

 

Une longue queue se forme devant le Conservatoire Darius Milhaud ce vendredi soir du 10 novembre. Le public aixois vient découvrir la nouvelle génération de compositeurs et de musiciens autour d’un programme réunissant le Trio avec clarinette op. 11 de Ludwig van Beethoven, la création mondiale de Si je te quitte, nous nous souviendrons de Camille Pépin, le Quatuor pour piano et cordes en si mineur de Guillaume Lekeu et la création mondiale de Slow Smoke de Christopher Trapani.

 

Julia Hamos au piano, Maxime Quennesson au violoncelle et Joë Christophe à la clarinette forment un trio harmonieux et bien équilibré. Les trois musiciens sont de la même génération et leur présence sur scène est engageante. Le trio exécute ce ravissant tube de jeunesse de Beethoven (dit « Gassenhauer ») avec esprit et une remarquable maîtrise technique. Les dialogues entre les instruments reflètent une belle complicité entre les musiciens qui venaient de passer une semaine ensemble en résidence à Aix-en-Provence.

 

Née en 1991, Julia Hamos est Américaine d’origine hongroise, issue d’une famille de mélomanes new-yorkais. Sa mère l’inscrit aux leçons de piano à quatre ans parce qu’elle croit que la musique aide à l’apprentissage des mathématiques. « Je ne suis toujours pas bonne en maths », rit Julia, mais son talent pour le piano n’est plus à démontrer. Après ses études à Royal Academy of Music à Londres, Julia a poursuivi sa formation musicale avec Sir András Schiff à l’Académie Barenboïm-Saïd à Berlin et à l’Académie Kronberg près de Frankfurt. Lauréate de plusieurs prix et concours, dont le Grand Prix du concours des virtuoses à New York, la pianiste à l’allure de danseuse (« Si je n’étais pas musicienne, je serais trapéziste ») se produit dans les salles les plus prestigieuses au monde.

 

Le clarinettiste français Joë Christophe, qui fêtait ses 29 ans la veille, découvre la clarinette à l’âge de sept ans et commence sa formation à l’école de musique sur un premier instrument prêté par l’harmonie municipale de Valenciennes, sa ville de naissance. Hésitant entre la gymnastique et la musique, il choisira la musique et décidera de devenir clarinettiste professionnel. A l’occasion de sa nomination aux Victoires de la musique classique 2023, il raconte à France musique : « Je me suis rendu compte que faire de la musique était une activité beaucoup plus pérenne qu’un sport de haut niveau ». Il intègre le Conservatoire de Paris en 2015 et rapidement, il commence à se faire remarquer. Lauréat du Festival Musical d’Automne des Jeunes Interprètes en 2017 et de la Fondation Safran en 2018, Christophe remporte le premier prix au Concours international de Cluj, mais surtout le premier prix et six prix spéciaux au concours de l’ARD à Munich. Il termine ses études avec les plus hautes distinctions et il se produit désormais aux quatre coins du monde, en tant que soliste et chambriste. Nous avions dernièrement l’opportunité de le voir avec Sirba Octet à Avranches, dans le cadre du festival Via Aeterna. Son premier disque, Idylle, a paru chez Genuin Classics en 2021.

 

 

Le benjamin du trio, le violoncelliste Maxime Quennesson, est né à Orsay en 1995 dans une famille de musiciens : sa grand-mère Huguette Fernandez était violon solo de l’Orchestre Jean-François Paillard, et son père Jean-Pierre est corniste à l’Orchestre national de France. Maxime Quennesson débute l’apprentissage du violoncelle à six ans et suit un cursus au CRR de Paris avant d’intégrer le Conservatoire de Paris en 2014 et l’Académie Jaroussky pour la saison 2018-2019. Il fonde le Trio Zeliha avec lequel il sera artiste en résidence au Festival de La Roque d’Anthéron en 2019. Le trio enregistre son premier album Chostakovich / Arensky / Mendelssohn en 2020 chez Mirare. Passionné par la création contemporaine, Maxime Quenneson se verra dédicacer deux œuvres par le compositeur français Jacques Lenot, dont Des Anges & des Dieux.

 

Renaud Capuçon et Guillaume Bellom créent Si je te quitte, nous nous souviendrons de Camille Pépin

 

Après ce trio de jeunes musiciens, ce sont le violoniste et fondateur des Nouveaux horizons, Renaud Capuçon et le pianiste Guillaume Bellom qui entrent sur scène pour nous offrir la création mondiale de l’œuvre Si je te quitte, nous nous souviendrons de la compositrice française Camille Pépin. Après Le sommeil a pris ton empreinte, son premier concerto pour le violon, crée le 27 avril par Capuçon et l’Orchestre National de France sous la baguette de Simone Young, c’est la deuxième œuvre que Pépin écrit pour Renaud Capuçon. Acclamée par RFI comme « l’une des compositrices les plus en vue de sa génération » , Camille Pépin s’impose dans le milieu fermé et largement masculin de la composition par un talent précoce ainsi qu’une écriture poétique et fraîche.

 

Née le 17 novembre 1990 à Amiens, Camille Pépin commence à écrire des morceaux dès 12 ans. Vingt ans plus tard, elle compte une trentaine d’œuvres à son actif. Elle étudie au CRR d’Amiens avant d’intégrer le Conservatoire de Paris où elle a décroché cinq premiers prix (orchestration, analyse, harmonie, contrepoint et fugue et formes). En 2015, elle remporte le Grand Prix Sacem Musique Symphonique dans la catégorie « Jeune Compositeur », le prix de l’Académie des beaux-arts et les Victoires de la musique classique dans la catégorie « compositeur de l’année » en 2020.

 

 

Inspirée par les deux derniers vers du poème Certitude de Paul Eluard (« Si je te quitte, nous nous souviendrons. En nous quittant, nous nous retrouverons. »), la composition d’une durée d’exécution d’une dizaine de minutes, est une œuvre minimaliste, percutante et exquisément construite. Pépin démontre une fois de plus sa capacité à retranscrire les émotions. Comme les étapes d’un deuil, l’œuvre suit un arc narratif qui commence avec une douleur vive et se termine dans une sorte d’apaisement fragile. L’introduction est rêveuse et nostalgique, comme si le souvenir doux de l’être aimé se mélangeait au regret, ponctué par l’amertume, mais aussi par des brefs éclats de lumière. La répétition, tantôt plaintive, tantôt obstinée, crée une ambiance de dépouillement, de vide, de stupeur, qui se transforme et se densifie dans une colère sourde. Telle une succession de tentatives échouées entre deux êtres qui, encore viscéralement attachés l’un à l’autre, n’arrivent plus à s’entendre, le piano et le violon se heurtent, s’implorent et s’épuisent dans une séquence cadencée et hypnotisante. Les motifs de tendresse et de tristesse, portés par le violon et le piano, reviennent avec moins de force et plus de douceur, telle la mer qui se retire, effaçant au passage, les traces sur le sable.

 

Quatuor pour piano et cordes de Guillaume Lekeu : Anna Göckel, Gérard Caussé, Ivan Karizna et Julia Hamos

 

Le Quatuor pour piano et cordes de Guillaume Lekeu et une des œuvres les plus saisissantes du prolifique compositeur belge, fauché par la fièvre typhoïde le jour de ses 24 ans. Étudiant de César Franck et ensuite, de Vincent d’Indy, Lekeu était influencé par Franck, mais aussi par Beethoven et Wagner. Ses compositions expriment la mélancolie et la souffrance, mais reflètent aussi un esprit singulier, marqué par une richesse des idées mélodiques et un certain goût pour le bizarre et le décalé. Entamée en 1883, l’écriture du le Quatuor pour piano, violon, alto et violoncelle est interrompue par la mort du compositeur en janvier 1894. C’est son professeur Vincent d’Indy, le compositeur et cofondateur et directeur de Schola Cantorum, qui termine le deuxième mouvement du Quatuor en y ajoutant sept mesures finales. L’œuvre a été créée le 23 octobre 1894 à la Salle Ravelstein de Bruxelles.

 

Le premier mouvement, Dans un emportement douloureux (très animé) est un long fleuve puissant et turbulent, parsemé de passages d’un lyrisme bouleversant. Le compositeur écrit dans une lettre à Mathieu Crickboom en août 1893 : « J’ai tenté une traduction en musique la dernière éruption de Mont Aetna. » Quelques mois avant, parlant de son Quatuor à sa mère, il se réfère à « un poème du cœur où milles sentiments qui se heurtent » Le second mouvement, Lent et passionné, nocturne et pétri de chagrin, exprime remarquablement en musique ces « cris d’amour qui suivent le désespoir le plus noir » qu’il avait décrits dans la lettre à sa mère.

 

 

Trois jeunes musiciens – Anna Göckel au violon, Ivan Karizna au violoncelle et Julia Hamos au piano jouent le Quartuor avec Gérard Caussé, altiste et cofondateur des Nouveaux Horizons. La violoniste Anna Göckel et le violoncelliste Ivan Karizna forment avec Caussé un trio de cordes uni et équilibré, tout en montrant chacun sa personnalité musicale propre. La composition donne la part belle à l’alto et Gérard Caussé nous en offre une interprétation d’une beauté déchirante. A ses côtés, Anna Göckel, intense et sincère, se distingue par un jeu particulièrement ressenti et poignant. Née en 1992 à Marseille dans une famille de mélomanes, Göckel intègre le Conservatoire de Paris à 14 ans où elle étudie avec Jean-Jacques Kantorow, le père d’Alexandre Kantorow. Grande amatrice de la musique de chambre, habitude qu’elle a prise en jouant avec ses sœurs, Anna Göckel confonde le Trio Karénine en 2009 au sein duquel elle remporte le Concours de l’ARD de Munich en 2013. Nommée en 2016, Révélation classique de l’ADAMI, elle explore les différents répertoires, notamment la création contemporaine.

 

Le violoncelliste biélorusse Ivan Karizna se montre plus réservé, mais on apprécie son jeu réfléchi et poétique qui infuse la section des cordes d’une émotion profonde, encadrée par une sonorité riche et finement texturée. Amateur de littérature, de philosophie et de cinéma (notamment Bergman, Tarkovsky et Fellini), Karizna est un vrai conteur. « On peut jouer toutes les notes en accord, très vite, et c’est efficace, mais la musique ne devient de l’art que si on crée une histoire », raconte Karizna dans un entretien avec Maestro Arts. Né à Minsk en 1992 dans une famille de musiciens, Ivan Karizna s’initie au violoncelle à sept ans et quitte la Biélorussie à 17 ans pour étudier au Conservatoire de Paris. Il remporte le 3ème Prix au Concours Tchaïkovski à Moscou en 2011 ainsi que plusieurs premiers prix internationaux, parmi lesquels Guillermina Sugia à Porto en 2013, Umanitaria à Milan en 2015 et Luis Sigall à Vina del Mar au Chile en 2016. Il enregistre son premier disque grâce au Prix de la Fondation Boisseaux en 2015 et le deuxième, consacré à Beethoven, sous le label Mirare en 2021. Krizna défend des « brillantes compositrices contemporaines », parmi lesquelles Sofia Gubaidulina, Joan Tower, Dobrinka Tabakova, Heather Schmidt, Unsuk Chin, Sally Beamish, Laura Schwendinger, Paola Prestini et Cheryl Frances-Hoad, et on ne peut que s’en réjouir et suivre de près ce jeune homme talentueux qui « pense avec sa propre tête ».

 

 

Slow Smoke de Christopher Trapani

 

La soirée se termine avec la création mondiale de Slow Smoke (pour clarinette et quatuor de cordes) du compositeur américo-italien Christopher Trapani. Jouée Joë Christophe à la clarinette, Irène Duval et Anne Göckel au violon, Sara Ferrández à l’alto et Ivan Karizna au violoncelle et Slow Smoke nous entraîne dans une ambiance rêveuse, inspirée par un voyage en Inde et par les formes indistinctes qui se dégagent de la fumée et de la bruyère au bord du Gange.

 

Né le 17 mars 1980 à la Nouvelle Orléans, Christopher Trapani étudie la poésie et la composition à l’Université de Harvard et se perfectionne au Royal College of Music de Londres où il obtient un Master sous la direction de Julian Anderson. Il s’installe à Paris en 2003, étudie la microtonalité dans la musique classique ottomane à Istanbul et intègre le cursus d’informatique musicale de l’Ircam. Il complète son doctorat à l’Université de Columbia en 2017. Lauréat de nombreux prix et résidences, parmi lesquels la bourse Guggenheim, le Prix Luciano Berio et Gaudeamus Prize. Trapani a enregistré trois albums, Waterlines en 2018 et 2020 et Horizontal Drift en 2022. Comme il l’explique dans un entretien à l’Ircam, Trapani fusionne les influences poétiques, technologiques et folkloriques (balkanique, turque), puise dans « quelque chose de lointain » et cherche à identifier un point commun lui permettant à « fabriquer quelque chose de personnel. »

 

 

Slow Smoke, superbement interprétée par une belle équipe de jeunes musiciens, est une œuvre étrange qui évoque davantage l’atmosphère assommante  d’un fumoir d’opium qu’une « grande fresque vivante le long du quai du fleuve Gange, » comme nous décrit la pièce la brochure qui accompagne le programme. Tel un charmeur de serpent, Joë Christophe hypnotise le public lors d’un long et délicat solo de clarinette, expressif, sombre et enchanteur, qui ouvre le morceau. La clarinette maintient la mélodie et en explore plusieurs chemins possibles, alors que le quatuor soutient ces flâneries diffuses de somnambule avec « un bourdon » sur les cordes à vide qui fait effet de percussions. Slow Smoke met en valeur l’indéniable talent de Joë Christophe, dont l’expérience indienne se limite à « un restaurant indien à Paris que j’aime beaucoup » comme il nous confiera après le concert, mais il est difficile de s’abandonner à l’ambiance soporifique de la pièce dans une salle de concert, même si certains spectateurs piqueront du nez sans aucune gêne.

 

Dans l’ensemble, cette première journée des Nouveaux Horizons est une belle réussite, marquée autant par la variété de la programmation que par l’immense talent et la belle énergie des interprètes.

 

 

 

 

Visuels : © Caroline Doutre sauf le portrait de Christopher Trapani © Esin Pektas

La vidéo Nouveau horizons réproduite avec l’aimable autorisation de Gens de Provence.