Niño de Elche au festival Fragile : un flamenco d’avant-garde aux airs loufoques
par Hanna Kay17.04.2025
Dans le cadre du festival Fragile au théâtre Zingaro d’Aubervilliers, l’artiste à la voix d’une puissance surprenante, a livré un hommage original et décalé mêlant tradition et renouveau, tragédie et humour, au mythique cantaor gitan Manuel Torre.
Du flamenco au strip-tease, un concert qui déshabille !
Selon la perspective, Il ressemble à un punk, à une œuvre d’art contemporain en or, à un humoriste et à un chanteur d’opéra. A coups de paillettes, il dézingue à toute berzingue l’austérité et la tragédie habituelle des concerts de flamenco qui nous envoûtent par leur intensité mélancolique. Il vient de la tradition, il connaît bien les codes du flamenco ancestral. En duo guitare-voix, s’accompagnant de palmas parfois, mimant le cajon sur le corps de la guitare (les formations de flamenco sont usuellement composées de chant, guitare , percussions et danse), la voix de Nino de Elche est terrassante et mystérieuse. Tel un ventriloque, il remue à peine les lèvres quand il chante. Le cantaor appelle le duende, surtout à la fin du concert, cette étincelle d’inspiration énigmatique, presque sacrée, qui apparaît dans une sorte de transe quand les artistes se sentent habités d’une âme particulière. Naissant habituellement d’une intense tristesse, le duende de ce soir a troqué ses habits de noir et de rouge, de nostalgie et de sang , pour un joli costume aux reflets dorés, tel un petit dibbouk sympathique qui nous sourit avec ironie. Imprévisible, le chanteur tient des notes très longtemps et bascule subitement dans les aigus, nous donnant l’impression de libérer des voix différentes dans son propre corps. Liberté et tradition sont incompatibles dans le flamenco authentique où les codes musicaux et hiérarchiques laissent peu de place à l’innovation. Nino de Elche balaie tout cela avec audace et élégante insolence. Cet homme est un poète qui s’assume, qui se met à nu. Preuve en est : il nous mime un début de strip-tease presque torse nu à la fin du concert. Il provoque mais contrôle. Il enlève le haut mais garde le bas. Il met de la fantaisie mais préserve le socle de l’héritage.
Le guide du voyageur galactique
Il a collaboré avec des chorégraphes et des danseurs tels que Juan Carlos Lérida, Israel Galván. Ce soir, il présente son dernier album Cante a lo gitano, dernier chapitre d’une trilogie flamenca. De son vrai nom Francisco Contreras Molina, il est né à Elche, proche d’Alicante (d’où son surnom Nino de Elche). Le flamenco, il l’apprend à Séville, berceau du monde arabo-andalou. Queer, anti-corrida, il se forge une identité transgressive. Dans ses précédents albums, il cite Nietzsche et des compositions de Chostakovitch. Nino de Elche fait revivre la planète tragique du flamenco traditionnel en y ajoutant un côté très humoristique, mélangeant les galaxies et colorant l’accompagnement de notes blues grâce à son très bon guitariste Emilio Carcafé. Entre les clochettes, les sifflotements, les airs orientaux et de musique country, on ne sait pas trop où se situer, de la grâce au
scandale, mais on est transporté et même dynamité. En astrostop, on voyage entre un vaisseau spatial, Jerez de la Frontera, et le fleuve du Mississipi. La scène du théâtre Zingaro, tel un cirque équestre aux airs fantasmagoriques, se prête particulièrement bien à ce propos (anti)fragile.
Visuel : ©Hannah Kay
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