Monsieur K, alchimiste du cabaret contemporain ressort son album « L’antre de l’ogre »

par Thomas Cepitelli
15.12.2025

Figure incontournable du renouveau de la scène cabaret, Jérôme Marin, offre une seconde vie à son album Dans l’antre de l’ogre, album queer, poétique et sauvage. Monstrueusement Cult !

Depuis plus d’un siècle, le cabaret occupe une place unique dans l’imaginaire européen : un espace interlope, frondeur, où l’art s’affranchit des convenances pour célébrer l’excès, l’ironie et la liberté d’être soi. Né sur les hauteurs du Montmartre fin de siècle et illuminé par les lueurs du Berlin des années 1920-30, le cabaret fut très tôt un sanctuaire pour celles et ceux que le monde des apparences tenait à l’écart : travestis, chanteuses masculines, dandys poudrés, figures troubles dont la scène servait d’écrin protecteur.
Le film Cabaret de Bob Fosse, d’après Isherwood, en garde la mémoire : un lieu où, des deux côtés de la scène, se jouait une fragile utopie.

Pour beaucoup de personnes queer hier comme aujourd’hui, le cabaret n’est pas seulement un divertissement : c’est un refuge. Un territoire où respirer librement, affirmer une vérité intime, jouer avec les codes, transformer en art ce que le dehors stigmatise. Dans ces caves souvent exiguës s’inventent encore mille débordements — humour, provocation, tendresse, mélancolie — qui font du cabaret un geste à la fois esthétique et politique.
Un outil de guérison, un cri feutré de résistance.

C’est dans cet héritage incandescent que s’inscrit Monsieur K, artiste polymorphe et inclassable, passé par les scènes mythiques de Madame Arthur avant de signer la direction artistique de deux hauts lieux du Paris nocturne Le Secret et dorénavant. Sa mission : réinventer le cabaret sans en trahir l’âme.

Monsieur K, personnage façonné par la scène

Monsieur K se tient à la croisée des genres : chanteur, maître de cérémonie, poète, performeur. Chez lui, la scène n’est pas un décor, mais une peau. Chaque chanson est un conte, un cri ou une confession. Sa silhouette, travaillée comme un tableau de maître, allie précision et audace. On reconnaît sa patte dans les costumes sculptés, la diction presque dramatique, la gestuelle féline. Fils spirituel de Karl Valentin et de Patachou, cousin fantasmatique de Zizi Jeanmaire, Régine ou Cora Vaucaire, il s’impose surtout comme lui-même : une créature. Qui ne l’a pas vu remuer la langue tel un cobra prêt à frapper ignore encore tout du mot présence.

Un album comme un labyrinthe en clair-obscur

Vingt-cinq ans après sa première vie, Monsieur K ressort cet album comme on rouvre une malle pleine de sortilèges. L’antre de l’ogre n’est pas une simple réédition, mais une œuvre dramaturgique. Chaque piste est une pièce d’un château hanté, quelque part entre les contes d’enfance et les nuits de cabaret, où résonnent les échos d’une Brigitte Fontaine en miroir brisé. L’ogre, figure tutélaire, n’est pas un monstre extérieur : c’est un désir intérieur, un double inquiétant, une bête bienveillante qui dévore pour mieux révéler.

L’album s’ancre dans la tradition de la chanson réaliste. Accompagnée auu piano par Antoine Bernollin, la voix de Monsieur K se fait murmure, incantation, souffle coupé. Chaque titre semble surgir d’un même rêve. L’univers sonore évoque un cabaret d’ombres où les miroirs faussent la perspective. Enregistré en public, l’album capture ce frisson rare : celui d’une proximité charnelle. À l’écouter, on imagine les marionnettes d’ombre du Chat Noir, ancêtre de tous les cabarets parisiens.

Identité, dévoration, renaissance

Ce qui frappe, dans Dans l’antre de l’ogre, c’est la manière dont Monsieur K explore les thèmes chers aux artistes queer : le double, le masque, la métamorphose, le corps comme terrain mouvant. L’ogre devient métaphore : celui qui protège et menace, qui engloutit et révèle. Chaque morceau agit comme un rituel de transformation. On y traverse les ténèbres pour reconquérir sa propre lumière.

Parmi les perles : la ritournelle « Chair fraîche », dont Monsieur K signe les paroles sur une musique de Nicolas Grellier. Un cabaret miniature, à la fois drôle, cruel et tendre, où la vie et la mort dansent en miroir.
Autre moment fort : « Le Buisson ardent », écrit et composé par Olivier Mouginot, en duo avec Corinne, figure flamboyante de la scène cabaret. À deux, ils mêlent dérision et ferveur, poésie et théâtralité débridée.
On notera aussi « La Femme du boucher », offerte par Olivier Py et Jean-Yves Rivaud, où Monsieur K ose tout : la crudité, la sensualité, la douleur, toujours rachetées par la poésie.

Héritage et renouveau du cabaret queer

Chez Monsieur K, le cabaret ne se revendique pas — il s’incarne. La plupart des titres semblent écrits pour la performance : un geste, une lumière, un silence suffisent à les prolonger.
Chaque chanson est un numéro ; chaque numéro, un chapitre ; chaque chapitre, une initiation.
Entre comique et tragique, voix et parlé-chanté, Monsieur K transforme la scène en confession publique, l’artifice en vérité. Avec L’antre de l’ogre, Monsieur K confirme qu’il appartient à cette famille d’artistes pour qui la scène est un champ politique autant qu’un espace d’enchantement.
Il unit l’histoire et l’expérimentation, la chanson et la performance, l’intensité et la pudeur. Et rappelle, s’il en était besoin, que le cabaret n’est pas un vestige nostalgique : c’est une avant-garde permanente.
Un lieu où l’on rejoue le monde, où l’on se dévore pour mieux renaître.

Dans cet antre à la fois chaud et inquiétant, on n’a aucune envie de sortir. On se prend même à désirer être, à son tour, dévoré par cet ogre au grand cœur et au talent vorace.

L’album est disponible sur les plateformes de streaming et donnera lieu à deux dates au Manège de Reims, les 5 et 6 avril 2026 avec M. Anna Petrovna et Frédéric Chopine au piano et des invités : Jeanne Plante, Sarah Olivier et Jonathan Capdevielle

31.01.2026 → 08.02.2026

Monsieur K, alchimiste du cabaret contemporain ressort son album « L’antre de l’ogre »

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