Bercy plein. Bercy bouillant. Bercy (plus) que content. Le rappeur Luidji touche une consécration personnelle en se produisant dans cette salle, et c’est certainement le premier « plus gros concert de {sa} vie » d’une longue série.
17 000 visages sont tournés vers la scène, hagards d’attendre. On pense au début de son dernier album, Saison 00 sorti en 2023, et à son titre d’ouverture, « Alexis ». On y entend des pas, sur un parquet expressif. Le jeune homme entre en scène, bruit de pas sur le sol d’un Bercy bruissant. Il se place dos au public, pudique, se dodeline et entonne, de concert.
« J’aimais ni ma peau, ni mes cheveux, ni ma peau, ni mes lunettes sur mes deux yeux, ni deux vieux, j’avais plus peur que besoins d’eux, fait de mon mieux, plutôt discret et silencieux, j’voulais juste qu’on m’aime un peu ».
Le rappeur des années 2020 ouvre les bras, s’envole. Cette introduction est sa présentation et son amorce. Il est seul sur l’immense scène et ne faillit pas. Affirme son style avec « MAMIMAMI » (2024) et « Système » (2019), ses thèmes de prédilections et son phrasé qui sait dérailler. Le premier set est définitivement celui de la prise de contact, des retrouvailles avec un public qui est là depuis 2016, un public qui finit toutes ses phrases et double sa voix.
Luidji s’est imposé avec son dernier album par ses textes et en assumant une esthétique à lui. Vestimentairement tout d’abord : il a le chic de la cravate, la rigueur du pantalon de costard et de la chemise cintrés et évasés, l’unicité des courbes de ses vanilles, et la folie décalée de ses gants de conduite rétro et de ses lunettes fumées. Crooner des temps modernes, il énonce les préoccupations d’une jeunesse qui ne sait plus vraiment tout ce qu’elle se prend de plein fouet. Pour l’heure, le temps est à la séduction… Il traîne son micro-pied en avant-scène, incite la salle à communier sur ces titres emblématiques de son essor, « Marie Jeanne » (2017), et « Néons rouges / Belles chansons » (2019).
Les marqueurs du concert sont en place : pour « le plus gros concert de {sa} vie » l’heure est au panorama 2016 – 2024, à la proximité face-face avec le public, à la consécration du label Foufoune Palace, et aux rêves de grandeur… C’est d’ailleurs sur la scansion de son nom qu’entre une quinzaine de danseurs et de danseuses qui effectuent une chorégraphie millimétrée. Il est si loin et si proche le petit garçon qui regardait « Téléfoot », aujourd’hui, il est irréductiblement le « Joueur 1 » de sa propre vie.
Concert ultra-calibré, ce Bercy est empreint de références scéniques, notamment à Kendrick Lamar, notamment avec en fond de scène, cet écran incurvé qui s’anime et dissimule les musiciens. Conçu en actes, le show déroule en premier lieu les acquis, musicaux et relationnels, du rappeur. Cette salle a beau être l’une des plus grandes salles parisiennes, on s’y sent dans un berceau, sensation renforcée par les temps morts et les adresses au public, loin des longs discours, notamment aux jeunes étudiant·es à qui il raconte son parcours et à qui il implore « Reste en vie ».
On sent parfois, dans ses moments de transitions, un peu de flottement. Faut dire, 17 000 visages, ce doit être impressionnant, surtout quand on prend la peine de vraiment les regarder. Mais jamais Luidji ne perd la main, il installe son public, convie et présente ses musiciens en première ligne. Il n’a aucune gêne à faire de grandes déclarations à son staff, ses proches, son Bercy, en chansons comme en discussions. Il est sérieux sans jamais se prendre au sérieux, le gimmick du jingle « Fou-Foufoune Palace, bonjour ! » et sa caméra à l’appui, Gisèle oblige… La générosité semble avoir articulé tout ce projet, et les choix qui ont été faits, le public jubile à la fin de ce premier acte en forme de prise de contact.
Un véritable tournant s’opère par le changement de look, pantalon baggy et haut blanc oversize, c’est à regard découvert que Luidji entame son second set dans les méandres de sa discographie, livrant sur un plateau les plus gros titres de ses premières années, gonflant le public dans la tradition des concerts rap. « Agoué », « Christian Dior », « Foufoune Palace », le tout avec un exercice vocal s’envoyant des graves suaves aux aigus surfant. Tout le monde est à fond dedans, et dans la fosse s’organise de gentils pogos où chacun performe en imitant le rappeur qui ponctue d’histoire cette épopée. Un titre capté dans une cuisine, un meilleur pote avec qui il partage tous ses rêves, un père qui parle peu, un frère qui lui a allumé son premier ordinateur, …
Le jeune homme se balade sur la scène de son Bercy, qu’il inonde de remerciements et de gratitude, conscient du travail et de la chance. En guise de dernier acte, il paraît en impair de cuir, lunettes sur le front, fait la part belle à son dernier album Saison 00. Il narre, frontalement et en images, ce qu’il se passe quand les temps se font durs pour les rêves. C’est certainement pour cela que son dernier album nous a tant touché, et que ce Bercy est si particulier : il y a vu grand et le pari est gagné. L’émotion est palpable en cette fin de concert, où dans la scénographie l’heure est à la sobriété, c’est la plume que l’on souligne autant que la voix. La sincérité est de mise, la simplicité de la présence et du partage d’un homme qui ne cesse de se déployer.
Pour tous ceux qui n’ont pas vu (ou souhaite revoir) le concert, ce dernier a été capté et est d’ores et déjà disponible gratuitement ici sur France.tv jusqu’au 22/05/2025.
(c) Pochette de l’album Saison 00