Un parc de 137 hectares, situé sur quatre communes (Sevran, Livry-Gargan, Vaujours et Villepinte) : tel est l’écrin qui a accueilli les Taupes de Philippe Quesne ce samedi.
De la Seine-Saint-Denis, l’image commune retient un département populaire, jeune et très fortement urbanisé. Si la réalité ne contredit pas tout à fait cette vision du territoire, ce dernier présente néanmoins des espaces arborés et boisés, comme le Parc de la Poudrerie, situé sur un ancien site industriel. Une industrie centrée sur la production de poudre à usage militaire, jusqu’à son arrêt en 1973. Vingt ans plus tard, en 1994, le parc obtiendra son classement par l’Office national des forêts.
Le choix, porté par le Théâtre Louis Aragon, de programmer un spectacle au centre de ce parc au passé militaire a pour objectif premier de faire sortir les habitants et habitantes des villes limitrophes de leurs immeubles et cités. De ce que l’on a pu voir ce 10 mai, le pari fut remporté haut la main : au concert en plein air de ces étranges mammifères, le public fut nombreux.
Un concert, ou un spectacle déambulatoire ? Un peu des deux. Les Taupes de Philippe Quesne, que l’on avait pu découvrir aux Amandiers en 2016 dans une trilogie (La Nuit des taupes, L’Après-midi des taupes et La Parade des taupes) surgissent près de la Cartoucherie du Parc, s’emparant du vélo d’un enfant, du sac de son parent et de la trottinette d’un autre. Bien entendu, leurs propriétaires retrouvent bientôt leurs biens et ont d’ailleurs l’air peu apeurés par ces créatures aux tailles démesurées et au costume qui mêle le trash au mignon.
Car, comment le contester, Philippe Quesne a le sens de l’atmosphère visuelle. Les costumes créés par Corine Petitpierre empruntent le caractère duveteux des nounours en y adjoignant l’aspect répulsif des queues et pattes de ces animaux nuisibles. Le vêtement de fourrure lui-même diffère d’une bête à l’autre, rêche ici, doux là. Le tout fait surgir des personnages qui, pour se ressembler, sont fortement individualisés. Bien sûr, la qualité des interprètes (Léo Gobin, Sébastien Jacobs, Paul Ramon, Thomas Suire, Jean-Charles Dumay, Gaëtan Vourc’h et Yvan Clédat) y est pour beaucoup.
Après la promenade intempestive, donc, vient le concert. Les interprètes du Vivarium Studio se saisissent l’un d’une batterie, l’autre d’une guitare et un troisième d’un micro, pendant que leurs compères – les taupes sont au nombre de sept – évoluent dans le public qu’elles s’amusent à effrayer ou qu’elles invitent à danser.
Ce moment ne relève pas du seul divertissement, mais présente une vraie recherche esthétique. La compagnie s’est ainsi attelée à créer un véritable langage taupe, grave et aux syllabes peu discernables, qui, le micro aidant, semble venu d’outre-tombe. Les morceaux de musique eux-mêmes, avec les voix qui les accompagnent, jouent des contrastes, avec des airs plus aigus qu’une crécelle et d’autres aussi graves que la langue de ces taupes. Le tout crée un moment paradoxal, à la fois familial, agréable et fortement dérangeant.
Les Taupes, rebaptisées pour l’occasion Maulwürfe, seront à Sarrebrück le 5 juin, au Festival Perspectives.
Les Taupes, Parc forestier de la Poudrerie, samedi 10 mai – 17h00 à 18h00.
Visuel : © Martin Argyroglo