Les jeux de miroir de l’Orchestre National d’Île de France
par Jean-Marie Chamouard07.04.2025
Le 4 avril 2025, à la Cité de la Musique, l’Orchestre National d’Île-de-France nous propose un programme atypique. Sous la direction de Julien Leroy, il fait dialoguer Bach, Couperin et Mozart avec des artistes contemporains
La musique baroque revisitée
Potsdam 1747, J.S. Bach rend visite, avec ses fils, au roi de Prusse. Frédéric II lui montre un thème musical de sa composition. Bach va improviser sur ce thème royal puis enrichir son improvisation qui deviendra l’Offrande musicale dont fait partie le Ricercare, une fugue à 6 voix. Bach n’en a pas écrit l’orchestration, ce soir nous écoutons la version pour orchestre d’Anton Webern (1883-1945). Une orchestration personnelle, originale, dès l’introduction, avec l’entrée successive des cuivres, des bois, des cordes. Le tempo est lent, solennel, les sonorités de l’orchestre évoquent celles de l’orgue. Anton Webern a bien rendu toute la sérénité de la musique de J. S. Bach. Une musique royale, dont la majesté est renforcée par l’élégance du chef Julien Leroy.
Thomas Adès est un pianiste, chef d’orchestre et compositeur britannique, né à Londres en 1971. Il revisite avec empathie trois études de François Couperin (1668-1733). Trois pièces alors célèbres pour clavecin, dont Thomas Adès a écrit l’orchestration. Elles ont été créées à Bâle en 2006. Une transcription réussie qui connaîtra le succès avec environ 200 représentations. L’auditeur sera séduit par la joie, la légèreté, le caractère presque dansant de la première étude Les Amusements. Les Tours de passe-passe portent bien leur nom : la régularité et la délicatesse des cordes se confrontent aux percussions qui imposent un rythme heurté. Les dissonances sont plus nombreuses, le baroque rencontre vraiment le contemporain. Dans l’Âme en peine Thomas Adès nous montre toute sa sensibilité avec les élans lyriques des violons et le chant des bassons.
Fragments …
Ce soir Julien Leroy et l’Orchestre National d’Île de France ont voulu rendre hommage à Peter Eötvös (1944-2024) qui nous a quitté récemment. Admirateur de Béla Bartok, ce compositeur et chef d’orchestre hongrois a travaillé avec Karlheinz Stockhausen et Pierre Boulez. En 1978 il a dirigé le concert inaugural de l’Ircam puis a été directeur musical de l’Ensemble Inter-contemporain, de 1979 à 1991. Dialog mit Mozart a été composé en 2016. Le compositeur a recueilli neuf fragments de mélodies de Mozart. Des dissonances, des ruptures de rythme, des grincements, la musique paraît chaotique, surprenante en tout cas. De cette fragmentation musicale émergent quelques notes comme venues d’un autre monde, celui de Mozart. Quelques fragments mélodiques apparaissent joués par les cordes, la flûte, le cymbalum surtout. Le classicisme rencontre une apparente déconstruction mais cette ambiance sonore anarchique finit par trouver une cohérence, elle intriguera le spectateur mais pourra aussi le séduire.
Revenons à Mozart
La Musique funèbre a été écrite par Mozart en 1785 pour un service maçonnique en l’honneur de deux frères maçons disparus. Le son de la clarinette retentit, seul, lugubre, précédant les cors et les violons. La musique est lente, très mélodieuse, très belle, incitant lors des moments pianissimo au recueillement. Puis elle monte en puissance, devenant solennelle, majestueuse dans un hommage aux nobles défunts. Une courte de pièce de toute beauté dont la dimension « religieuse » est manifeste.
Le concert se termine par une œuvre célèbre, la 35ème symphonie de Mozart dite « Haffner » du nom de son commanditaire, le maire de Salzbourg récemment anobli. Lors de cet été 1782, Mozart débute sa carrière viennoise et va épouser Constance Weber. Cette symphonie est joyeuse, pleine de vigueur, heureuse. Par son dynamisme, par ses gestes amples, presque théâtraux, Julien Leroy communique un surcroît d’énergie à l’orchestre. L’auditeur remarquera le caractère brillant du premier mouvement qui exprime le triomphe de la vie. Les accents orchestraux renforcés par les cuivres évoquent Beethoven. L’élégance, le lyrisme, mais aussi un soupçon de mélancolie apparaissent lors de l’andante L’enthousiasme de Mozart et la virtuosité des musiciens éclatent dans le presto final. Les doubles croches galopantes doivent être jouées « le plus vite possible ». Les cordes se précipitent, les cuivres martèlent, pour le plus grand bonheur de l’auditeur jusqu’à une fin étourdissante.
Bach, Couperin, Mozart sont en résonance avec des compositeurs contemporains. Julien Leroy et l’Orchestre National d’Île de France nous ont convaincu avec ce programme original, qui confirme que la musique reste un processus ininterrompu de création et de re- création.
Visuel(c) : JMC
