Les couleurs du piano : le festival du Musée des Impressionnismes à Giverny

L’impressionnisme concerne aussi la musique

C’est en traversant un magnifique jardin que nous entrons au Musée des Impressionnismes de Giverny. Nous sommes à deux pas de la maison de Claude Monet. Le bâtiment est spacieux, ouvert sur la végétation alentour, parfaitement intégré à son environnement arboré. Il s’agissait initialement entre 1992 et 2009 de la fondation de Daniel J. Terra, collectionneur et mécène américain qui y a apporté ses propres œuvres. Depuis 2009 c’est un musée d’art.
Depuis cinq ans, le musée organise un festival de piano, dirigé cette année par Vanessa Wagner. Il propose six concerts avec onze artistes différents, dont une « MasterClass ». Gabriel Fauré, Claude Debussy, Maurice Ravel: le programme de ce soir se consacre largement aux contemporains des peintres impressionnistes, sans oublier l’espagnol Isaac Albéniz. Avec ces compositeurs, nous sommes à l’heure de l’impressionnisme musical lorsque les notes, les sonorités deviennent couleurs, lorsque la musique représente une idée ou une image.

La sensibilité d’une poétesse

Jodyline Gallavardin arrive sur scène, elle porte les couleurs de l’été. Sa robe verte et orange pourrait nous rappeler les teintes du tableau de Claude Monet : Coquelicots. Le concert débute par la première Arabesque de Debussy. Une œuvre composée en 1890-91 qui marque le début de l’impressionnisme musical. La fluidité du piano, la beauté de la mélodie révèlent d’emblée la délicatesse et la sensibilité du jeu de la pianiste.
Pour écrire La cathédrale engloutie Claude Debussy s’est inspiré d’une légende bretonne. La cathédrale engloutie apparaîtrait certains matins calmes lorsque l’eau est particulièrement transparente. La musique nous raconte cette histoire. Le début baigne dans le mystère, des notes à la fois très aiguës et très graves émergent difficilement de la brume. Puis la cathédrale s’élève, la musique monte en puissance, l’orgue résonne avec des accords plaqués solennels. Les sons s’éloignent à nouveau, on croit entendre les bruits de l’eau mais persiste une mélodie, comme un leitmotiv, qui pourrait être le chant de cette belle légende.
Lorsqu’en 1920 Maurice Ravel lui présenta la version orchestrale de La Valse Serge de Daghilev, le fondateur des ballets russes, lui répondit «  ce n’est pas un ballet mais le tableau d’un ballet »… Nous écoutons la version pour piano écrite par Ravel lui-même. Le compositeur voulait écrire « l’apothéose de la valse » mais après les horreurs de la Grande Guerre, il était hanté par la barbarie du monde. La valse est une œuvre envoûtante qui nécessite de la pianiste une grande virtuosité. Le début est grave, étrange. Peu à peu tout se précise, on imagine les couples de danseurs, le rythme est celui d’une valse. La musique est entraînante, éclatante. Mais la danse devient frénétique, inquiétante, la valse est interrompue à plusieurs reprises par des accents furieux. La guerre a métamorphosé la valse viennoise, en une quasi danse macabre. Jodyline Gallavardin a interprété avec passion cette œuvre puissante, fascinante.

Un talentueux jeune pianiste

Antoine Préat, aussi claveciniste, nous offre un détour par la musique baroque. Il interprète trois courtes pièces de Jean-Philippe Rameau. Son jeu est clair, net, précis, sans manquer de sensibilité. L’auditeur sera amusé par la pièce La Poule : les sautillements et le caquètement sont «  plus vrais que nature ». Antoine Préat nous montre tout son talent de soliste dans les trois impromptus de Chopin. Il alterne la force et la douceur dans une interprétation très romantique en particulier de l’impromptu opus 51.
Puis nous revenons à Debussy. Le livre II : Images a été composé en 1907. Chacune des trois pièces est accompagnée d’un titre très suggestif. Les cloches à travers les feuilles racontent une coutume jurassienne : le glas des cloches sonne à travers la campagne, sans interruption, depuis les vêpres de la Toussaint jusqu’à la messe des morts du lendemain. L’ambiance sonore est délicate, les notes semblent s’égrener à travers les feuillages et l’auditeur pourra deviner le son des cloches qui s’éloignent. Et la lune descend sur le temple qui fut est un poème musical, la douce mélodie nous fait imaginer le reflet de la lune sur les ruines du temple. Les poissons d’or sont un scherzo ludique reproduisant parfaitement le frétillement des poissons dans une rivière un peu agitée.
Le concert se termine par Kaddish, prière des morts, de Maurice Ravel. Une œuvre de toute beauté, une complainte douloureuse très émouvante. Une complainte qui s’exprime avec une force croissante, comme pour s’élever vers la transcendante.
Dans ce temple de l’impressionnisme, le concert était aux couleurs de l’harmonie grâce à la beauté des lieux, le choix des œuvres, leur interprétation.