Ce mardi 21 janvier se produisait, à l’auditorium du musée d’Orsay, le Trio Haydée, formé par Marielou Jacquard, mezzo-soprano, Anastasie Lefebvre de Rieux, flûtiste et Constance Luzzati, harpiste. Ce groupe musical tout en matérialité, mêlant cordes, bois et voix, a imaginé pour nous un programme en neuf pièces sélectionnées par leurs soins, autour de la peinture Figure, fleur jaune d’Odilon Redon (1901). Une véritable expérience immersive qui, par la force du son et de la musicalité, a donné vie à la toile devant nos yeux.
Les trois musiciennes entrent en scène, hauts argentés et bas noirs. D’emblée, elles se mettent à jouer, laissant encore un peu planer le suspens sur les raisons de leur sélection, sur leur interprétation de l’œuvre. Elles entament La bonne chanson, op. 61 de Gabriel Fauré, sur un texte de Paul Verlaine. Et dans les successions de notes en demi-tons, c’est une nature bucolique et printanière qui commence à se construire devant nous. Laissant le temps à l’esprit du spectateur de voguer sur les éléments de la toile exposée en arrière-plan, la toile prend vie, elle commence à faire sens devant nos yeux, elle qui, de prime abord, se donnait à nous dans une succession d’objets ne faisant vraiment sens.
À la fin des applaudissements, Marielou Jacquard se lève pour nous parler de l’élaboration du programme, de ce que le trio a voulu montrer de l’œuvre, de ce qu’il en retient. Une rêverie, « une fenêtre ouverte sur un monde intérieur, fantasmé ». Pour elles, la toile chante. Et elles vont la faire chanter pour nous.
Elles commencent leur voyage musical chez Odile Redon avec deux pièces, merveilleuses, de Rosy Wertheim, Marguerite Roesgen-Champion, Pauline Viardot et Clémence Grandval. Parce que ce programme est aussi l’occasion de mettre en avant des voix oubliées de l’histoire de la musique, des voix féminines dont la puissance musicale n’a rien à envier aux compositeurs les plus connus du début du XXe siècle.
Les deux premières pièces « [jouent] que l’on chante des chansons ». Ce sont les notes en dissonance des Trois chansons de Rosy Wertheim qui ouvrent le bal. Il s’agit de chanter avec (ou pour) les oiseaux, tout en trille, en trémolos et en demi-tons, laissant les trois instruments faire ce qu’ils veulent, ne cherchant pas nécessairement à les accorder, comme le fait Odile Redon dans sa toile. Les Sentiers parallèles de Marguerite Roesgen-Champion expriment quant à eux ce « frisson vert », comme le soulignent les paroles transmises par la voix de Marielou Jacquard. Les sentiers chantent pour nous, tout en couleur, qui se dessinent par bulles successives, et rappellent les arbres brumeux de la toile.
Pauline Viardot et Clémence de Grandval leur succèdent, dans deux pièces dans lesquelles la nature prend vie devant nos yeux. Dans le Roussignolet de Viardot par exemple, le piccolo Anastasie Lefebvre de Rieux recrée le chant du petit oiseau, et se joue de nous, en autodérision. Comme dans la toile, les éléments circulent, en suspension, dans les modulations successives de la voix et de la flûte.
Après la chaleur de la voix mezzo de Marielou Jacquard dans les pièces d’André Caplet et Philippe Gaubert, c’est une composition contemporaine de Joséphine Stephenson, présente dans la salle, qui nous est retranscrite dans l’auditorium. Jouée pour la première fois à Paris, Aube installe le mouvement engourdi d’une nature qui s’éveille lentement : la harpe retranscrit les gouttes de la rosée matinale, les arpèges de la flûte, l’énergie progressive qui s’installe. Des sons magnifiques qui retranscrivent le voile flou qui semble couvrir la toile de Redon, comme si la nature était regardée à travers des yeux qui se réveillent.
Visuel : © Jean-Baptiste Millot