Le 30 et 31 octobre 2024, la Philharmonie de Paris propose un riche programme comprenant le concerto pour piano n°2 de Serge Rachmaninoff et la symphonie n°2 d’Alexandre Scriabine. L’orchestre de Paris est dirigé par Kirill Karabits. Khatia Buniatishvili interprète le concerto de Rachmaninoff.
Khatia Buniashvili, une star du piano, est la soliste dans l’une des œuvres les plus célèbres et populaires du répertoire classique. En plus de ces valeurs sûres, le concert nous propose aussi des œuvres inédites avec Ange, poème nocturne du compositeur Théodore Akimenko et Knell de la compositrice iranienne contemporaine Niloufar Nourbakhsh. Nous découvrons aussi l’élégant et dynamique chef ukrainien Kirill Karabits, figure reconnue de la musique en Europe orientale, chef principal du Bournemouth Symphony Orchestra.
«L’ange volait dans le ciel de minuit. Une douce chanson, il chantait. La lune, les étoiles et les nuages en foule écoutaient ce chant sacré». Théodore Akimenko s’est inspiré du poème de Lermontov pour composer en 1924 son Ange, poème nocturne. Son court poème symphonique s’inspire de Wagner mais aussi des impressionnistes français. L’auditeur, séduit par cette musique paisible, très fluide pourrait imaginer une promenade au bord d’un lac au clair de lune. Le calme incite à la méditation, les élans lyriques à l’élévation. Puis quelques notes du piano très pures résonnent, telles des cloches avant une fin toute en douceur. Une belle découverte.
Composé et créé en 1901, le deuxième concerto pour piano est pour Rachmaninoff une renaissance. L’œuvre fut un succès immédiat alors que le compositeur sortait d’un état dépressif grave et retrouvait enfin l’inspiration. Le concerto raconte ce retour à la vie. Les accords du début, joués par le seul piano sont graves, sombres. Puis le développement du thème est confié à l’orchestre. Le piano et l’orchestre semblent fusionner dans une ambiance sonore envoûtante. Le souffle romantique se déploie, évoquant les grands espaces, les grandes plaines russes. Kathia Buniatishvilli nous montre sa sensibilité, sa virtuosité dans cette œuvre réputée difficile même si parfois l’orchestre écrase un peu le piano. Au premier mouvement tourmenté, «gigantesque anamnèse» des souffrances passées, succèdent la sérénité de l’adagio et la vitalité du 3ème mouvement. Une avalanche de notes, un rythme entraînant, des accords puissants conduisant à une fin spectaculaire.
Kathia Buniatishvili nous offre trois bis dont la si belle Sérénade de Schubert dans une transcription de Liszt. Un petit récital de piano avant l’entracte pour le plus grand plaisir du public.
Knell pourrait signifier glas. Dans cette œuvre brève, la compositrice iranienne Niloufar Nourbaskhsh nous raconte une histoire émouvante. Elle voulait reproduire grâce à l’orchestre «la constance d’une cloche». Une cloche qui sonne comme le collier de sa mère récemment disparue. Un collier soufi comprenant un cœur en or et deux pendentifs. Après le prix Nobel 2023 attribué à la militante iranienne Narges Mohammadi, Knell a été programmé par l’orchestre de la radio norvégienne. Niloufar Nourbaskhsh a dédié son œuvre au peuple iranien victime de la répression et au mouvement «Femme Vie Liberté». En espérant qu’elle soit «le prologue d’un avenir étincelant et lumineux comme le collier de ma mère». Les violons débutent seuls, grinçants. Une ondulation autour d’une ligne sonore, de plus en plus mélodique. Les cordes sont rejointes par le xylophone, les cuivres, les batteries. Une orchestration très originale.
Post romantique, Scriabine l’est assurément, comme sa deuxième symphonie composée en 1901. Elle ouvre également la période mystique du compositeur. En cinq mouvements, cette œuvre est originale, contrastée, de la mélancolie du début jusqu’au triomphe final. Les bois ouvrent l’andante initial. D’emblée l’auditeur est convaincu par cette musique qui nous enveloppe d’une douceur empreinte de nostalgie. Il remarquera les solos de clarinette, très purs auxquels répondent les violons. Dans le troisième mouvement l’atmosphère est joyeuse, sereine, champêtre. Le chant d’oiseau des flûtes accompagne celui des violons. Nous pensons à la Pastorale de Beethoven surtout que le quatrième mouvement «Tempestoso» est bien une tempête. Le grondement des percussions, les rythmes impétueux, le chaos musical l’attestent. Le chef Kirill Karabits déploie une grande énergie. Son expression corporelle est remarquable, tout son corps est habité par la musique. Le dernier mouvement «Maestoso» est une grande marche triomphale et majestueuse. La puissance de l’orchestre est maximale, les trompettes sont solennelles, le triomphe est martelé, total. Scriabine nous a offert une œuvre symphonique très romantique, à l’orchestration spectaculaire. Une œuvre idéale pour la salle Pierre Boulez de la Philharmonie.
Ce concert est riche de la diversité de son programme alliant des œuvres célèbres et d’autres quasi inédites. Il faut rendre hommage à l’Orchestre de Paris pour son interprétation de la symphonie de Scriabine. Un grand moment de musique symphonique.
Visuel(c): JMC