Le 17 octobre 2025, à la Cité de la Musique à Paris, la pianiste Aline Piboule nous initie à la musique de Frédéric Mompou et l’écrivain Pascal Quignard nous éclaire sur la vie et l’œuvre du compositeur.
Elle est pianiste, il est écrivain. Comme pianiste, Aline Piboule désire s’aventurer au-delà du récital traditionnel. Son répertoire est vaste, s’étendant du baroque à la musique contemporaine. Elle aime susciter le dialogue entre des œuvres d’époques différentes et tisser des liens entre la musique et la littérature ou la peinture. L’écrivain Pascal Quignard a eu une formation philosophique et musicale. Il a reçu le prix Goncourt en 2002 pour Les ombres errantes. Son livre le plus célèbre est Tous les matins du monde qui a inspiré le film consacré au musicien baroque français, Marin Marais. Aujourd’hui, c’est sa quatrième collaboration avec Aline Piboule. Ensemble, ils nous font rentrer dans l’univers de Frédéric Mompou (1893-1987). Catalan par son père, français par sa mère, il partage sa vie entre Barcelone et Paris où il séjourna de 1911 à 1914 puis de 1921 à 1941. Inspiré par Debussy, Satie et surtout Fauré, il nous laisse un répertoire riche d’environ 200 œuvres, essentiellement pour piano. Ce soir, les courtes pièces interprétées par Aline Piboule alternent avec la lecture des textes consacrés à la vie et à l’œuvre de Frédéric Mompou. Cet entrelacement entre la musique et les mots s’avère harmonieux, le concert devient « un récit-récital ». Le choix d’une salle relativement petite, l’amphithéâtre de la cité de la musique, s’est avéré judicieux, préservant l’ambiance très intimiste de cette soirée.
Aline Piboule débute par une Variation de Gabriel Fauré. Un hommage à celui qui fut l’ inspirateur de Frédéric Mompou. A 16 ans, lors d’un concert à Barcelone, il entend Gabriel Fauré interpréter, au piano, son quintette et décide de se consacrer à la musique. Nous entrons dans l’univers musical de Mompou avec son prélude N°6 pour main gauche seule. C’est une romance envoûtante, entre passion et recueillement. Aline Piboule y déploie puissance et sensibilité. Puis nous écoutons l’incroyable Carillon nocturne de Georges Enesco. Les cloches ont une grande importance dans la vie de Frédéric Mompou, celles de la cathédrale de Barcelone mais aussi celles de la fonderie familiale dans les Pyrénées là où, enfant, il passait des vacances heureuses. Par un travail sur les accords et les harmonies, Enesco restitue à merveille la sonorité des cloches. Elles se font mélodie mais aussi glas ou tocsin. La justesse et la précision de l’interprétation de la pianiste nous permet d’imaginer « ce carillon qui se noie dans le noir ». Le combat del somni (dans une version pour piano seul) est une superbe rêverie réconfortante par la beauté de sa mélodie. La proximité avec la musique de Gabriel Fauré est frappante. La douceur du songe se transforme en cauchemar avant le retour au calme et la reprise de la mélodie initiale. La Musica callada est peut-être le chef-d’œuvre de Monpou, inspiré par le cantique spirituel de St Jean de la Croix. La musique devient soupir de l’âme. L’auditeur retient son souffle, les notes ne sont que murmures, elles semblent venir d’un autre monde. Nous entrons dans l’intimité du compositeur, dans son introspection, sa méditation, lors d’un moment de pure poésie.
Pascal Quignard récite son propre texte, un texte très beau, très poétique. Sa voix est posée, grave, un peu solennelle ; il parle assez lentement, imposant le tempo de la soirée. Il nous décrit la timidité de Frédéric Mompou qui, à 18 ans, malgré une lettre de recommandation de Granados, n’osa pas frapper à la porte de Gabriel Fauré, alors directeur du conservatoire de Paris. Sa modestie était déconcertante, « il ne voulait pas être musicien » mais laissait les notes venir à lui ! Le récitant nous décrit la dépression chronique de Frédéric Mompou, sa peur de tout, sa solitude, son insomnie, son goût à rien mais aussi son amour pour la pianiste Carmen Bravo. Cette rencontre, en 1941, le rendit enfin« heureux » !
Lorsque la pianiste aborde la Musica callada, Pasqual Quignard devient musicologue et philosophe. Il essaie de nous faire ressentir cette musique qui naît de la nuit et qui cherche à se taire. Il rentre dans la solitude et métaphysique de Frédéric Mompou. Il s’interroge avec le compositeur sur la sonorité et le silence, métaphores de la vie et de la mort.
Aline Piboule termine le récital par le Prélude N° 7 « Palmier d’étoiles ». Une œuvre plus virtuose qui donne au concert son éclat final. Cette soirée a été une rencontre fructueuse de la musique et de la littérature. Lorsque la musique nous dit l’indicible et la parole nous explique la musique, nous sommes dans un moment de grâce.
Visuel © : JMC