Le 19 mai dernier, l’immense pianiste russe Arcadi Volodos a offert à son public un récital grandiose consacré à Schubert dans la Grande Salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris. Retour sur un concert événement.
Tout de noir vêtu et acclamé par un public frétillant, l’immense Arcadi Volodos fait son apparition sur la scène de la Philharmonie de Paris. D’un pas rapide et décidé, il rejoint le Steinway noir qui trône au centre. En guise d’introduction à cette soirée dédiée à Schubert, Volodos convoquera poésie, élégance et raffinement avec Six moments musicaux D.780, op.94.
Véritable galerie de sentiments exposés à partir d’un matériau mélodique relativement simple, c’est la lumière qui jaillit de ces compositions inspirées. Porté par les notes de Schubert, on observe les bras du pianiste se tendre dans un élan habité. Tandis que le bas du corps reste concentré dans une économie de mouvements, c’est tout le haut qui se déploie dans une onde majestueuse : au gré des inflexions musicales, la tête s’élève vers le ciel, les sourcils s’arquent ou se froncent et le visage tout entier s’anime, sculpté par les émotions véhiculées. Entre Moderato, Andantino, Allegro moderato ou encore Allegretto vivace, Arcadi Volodos oscille avec volupté entre douceur, mélancolie, tension et légèreté. Sa palette de couleurs semble infinie.
Ainsi, l’on passe de la nostalgie tendre à la vivacité espiègle en un clin d’œil. Dès le troisième moment, les notes joyeuses et bondissantes semblent virevolter dans les airs, malicieuses et légères. Puis, le tempo s’accélère, les notes se bousculent, tout se resserre. La fougue jaillit, impétueuse et flamboyante, avant que le climat ne s’apaise : le rythme se calme alors, les silences s’étirent, nobles et sublimes, comme un souffle suspendu.
Puis arrive ce moment de recueillement empreint de délicatesse et de majesté : Litanie pour la Fête de la Toussaint, où le pianiste exécute avec grâce et humilité la transcription de Liszt. À travers une maîtrise de jeu exceptionnelle et les émotions au bout des doigts, il nous emporte vers un ailleurs merveilleux et nous offre quelques minutes d’éternité. Le public se retrouve irréductiblement embarqué dans une sorte de transe méditative puissante, où tout s’évapore, tout s’étiole, tout s’efface… ne reste que la musique dans son expression la plus pure. Le pianiste propage dans la salle une onde vibratoire qui traverse les âmes et nous reconnecte à l’essentiel.
Avec Der Müller und der Bach (Le Meunier et le ruisseau), extrait de « Die schöne Müllerin » (La Belle Meunière) D. 795, composé en 1823 par Schubert et transcrit par Liszt en 1846, Volodos exprime tout en nuances la beauté déchirante d’un amour non réciproque : celui d’un jeune homme pour la fille d’un meunier, qu’il rencontrera en suivant le cours d’un ruisseau. Désespéré par le choix de sa belle qui lui préfère un chasseur, l’apprenti meunier finira noyé dans le ruisseau, symbole de la nature, du destin et du refuge final du promeneur.
Volodos nous offre ici une musique lente, grave et solennelle, ponctuée d’aigus lumineux à la main droite (l’amour, l’espoir) mais rattrapés inéluctablement par les vagues de la main gauche (la déception, le chagrin, la mort) dans une fluidité qui reflète les états d’âme du jeune meunier : « Wo ein treues Herze in Liebe vergeht » (où un cœur fidèle se consume d’amour). Construite sur la dramaturgie intérieure du héros romantique en quête d’absolu, la musique nous renvoie à cet idéalisme déçu et illustre magnifiquement les affres de l’amour.
Point d’orgue après l’entracte, Arcadi Volodos enchantera son public avec la Sonate en la majeur D. 959, sans oublier les nombreux rappels qui prolongeront la magie d’une soirée absolument merveilleuse.
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Photo : © Piano4étoiles
Arcadi Volodos
Schubert
Lundi 19 mai 2025
Grande Salle Pierre Boulez
Philharmonie de Paris