Le 19 Janvier 2024 à la Cité de la Musique-Philharmonie de Paris, le Quatuor Modigliani interprète les Trois pièces pour quatuor à cordes d’Igor Stravinski, le quatuor à cordes N°3 de Dmitri Chostakovitch et le Quatuor à cordes N°7 de Ludwig van Beethoven.
En 2003, au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, quatre étudiants, quatre amis fondent le Quatuor Modigliani. Un quatuor qui va acquérir une réputation internationale. Le violoniste Loïc Rio, l’altiste Laurent Marfaing et le violoncelliste François Kieffer sont restés dans la formation depuis sa création. En 2016, Philippe Bernhard a été remplacé, comme premier violon, par Amaury Coeytaux. Ensemble sur scène, ils ne paraissent faire qu’un et vont séduire par leur talent le public de la Cité de la Musique.
Un an après le Sacre du Printemps, en 1914, Stravinski (1881-1971) compose Trois Pièces pour quatuor à cordes, qui apparaissent comme un condensé de ses innovations. Une musique surprenante. Très brève, la première pièce est une danse au rythme répétitif, lancinant. La seconde, « Eccentric », est dédiée à un clown. Un clown un peu grinçant : la pièce débute par des frottements de cordes. Les brefs moments mélodiques sont interrompus par des dissonances, des accents brusques, des claquements. Nous sommes aux portes de la musique atonale. La troisième pièce est un cantique qui commence par le chant du violoncelle. La musique est très douce, méditative. Ce moment de recueillement se termine dans un murmure nécessitant toute la délicatesse et la finesse de jeu du Quatuor Modigliani.
Dmitri Chostakovitch (1906-1975) a composé son troisième quatuor en 1946. Le compositeur a eu des relations compliquées avec l’État soviétique. Alors que l’heure est au triomphe après la victoire dans la « grande guerre patriotique », son quatuor sera censuré pour pessimisme ! Dédié à Beethoven, le quatuor reste classique dans sa forme et sa structure. Il est remarquable par la richesse et la variation des émotions qui s’y expriment. Elles seront mises en valeur par l’interprétation très expressive, très colorée du quatuor Modigliani.
Chostakovitch nous invite dans l’histoire. Le premier mouvement nous ramène avant guerre. La musique est joyeuse, enlevée, même si l’angoisse et la colère pointent déjà. Elle évoque une fête villageoise, le compositeur voulant dans ce quatuor décrire la vie des petites gens. Le moderato con moto est tourmenté, la menace est proche, comme l’atteste le grondement en basse continue du violoncelle. Le jeu des cordes pincées, le chant du premier violon sont très beaux, très mélancoliques aussi. La guerre se déroule devant nous lors de l’allegro non troppo. Les accents sont brutaux, martiaux, les rythmes sont très spectaculaires, envoûtants, nécessitant une grande virtuosité. Suit un adagio lugubre, véritable requiem en l’honneur des morts de la guerre. A la longue plainte du premier violon suit un très beau dialogue entre l’alto et le violoncelle. La musique est romantique, pathétique, très belle surtout. Dans le moderato final, nous assistons à un retour à la vie, la musique redevient joyeuse, presque légère même, mais des moments de colère et de mélancolie demeurent, comme s’il y avait eu trop de morts ! Le quatuor se termine dans un murmure, le temps paraissant suspendu…
« Cette musique n’est pas pour vous, c’est pour les temps à venir », expliqua Beethoven à l’un de ses détracteurs. Le 7ème quatuor, composé en 1805-1806, suscita l’incompréhension de ses contemporains. Par la longueur du quatuor, la place prépondérante du violoncelle, les audaces rythmiques, les innovations étaient effectivement surprenantes.
Le violoncelle expose le thème de l’allegro initial, un thème très mélodieux, ample, dont il émane une grande énergie vitale. Le Quatuor Modigliani y déploie un grand sens de la nuance, mais aussi une puissance, qui fait évoquer à l’auditeur un orchestre symphonique. L’allegretto est surprenant, d’une grande modernité par ses audaces rythmiques, ses ruptures. Les moments de frénésie rythmique alternent avec des moments beaucoup plus mélodiques, mélancoliques. Une musique fascinante, qui nécessite manifestement une grande virtuosité. L’adagio est une longue complainte douloureuse. Beethoven traversait alors une période difficile avec l’aggravation de sa surdité. La douleur est très présente dans ce mouvement lent, mais la palette des sentiments reste riche. La passion, le tragique côtoient la délicatesse et la douceur, comme dans ce très beau moment où les cordes pincées du violoncelle accompagnent la mélodie du violon. L’allegro final repose sur une mélodie populaire russe à la demande du dédicataire, l’ambassadeur de Russie. La musique redevient festive, joyeuse, c’est un morceau de bravoure pour les musiciens. L’auditeur sera emporté par les accélérations, les rythmes enivrants, la fin spectaculaire.
Par leur harmonie, leur cohésion, leur sensibilité, les musiciens du Quatuor Modigliani ont séduit le public de la Cité de la Musique dans des œuvres très riches en émotions.
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