Un moment de pur divertissement avec la harpe ondine de Tjasha Gafner suivie de la guitare mélancolique de Thibaut Garcia.
On aime décidément beaucoup cette église de Verbier et cette place C9 qui nous est réservée. Ni trop près, ni trop loin, mais en connivence discrète avec la scène, soit une présence courtoise et non intrusive parfaitement suisse. On s’installe donc pour le récital de Tjasha Gafner qui offre une version particulièrement réussie de la « Féérie » de Marcel Tournier (1879-1951), pour mêler « le populaire et le romantique, et donner un avenir à la musique », comme l’explique candidement la jeune harpiste suisse, dont c’est la première performance à Verbier. Suivra une transcription de Bach dont elle s’est chargée seule avec détermination, puisant dans les ressources de son instrument les éclats romantiques dont elle se fait récipiendaire, tenant la sarabande tout en légèreté et grâce avant de s’alanguir joliment dans sa gigue pour laisser son public dans un état de stupéfaction admirative. La première partie s’achève, Gafner respire et enlève ses chaussures. Tout est bien.
Le soir, on repensera à ses pieds plantés dans le sol en regardant Thibaut Garcia achever ses interprétations d’un geste ample, repoussant son bras instrumentiste derrière l’épaule et poussant sa guitare face aux applaudissements du public de son autre bras. Comme si la harpe ancrait le corps dans la terre tandis que la guitare invitait à l’envol. La transcription du Prélude op 28 de Chopin qu’il enchâssera directement avec une Mazurka d’Agustin Barrios Mangoré, arrangeur du même Chopin dira à peu près tout de cet aspect aérien des cordes dont la mélancolie semble à la fois peser et libérer celui qui joue. Tout au long de son récital, Garcia nous instruira de son amour pour Mangoré, tandis que Tjasha Gafner, après une sonate de Haydn de circonstance, poursuivra son exploration romantique du côté d’Henriette Renié (1875-1956) où des reines jalouses poursuivent de leurs sortilèges des princes amoureux d’une autre. On pensait bien qu’il faudrait en passer par là.
S’ancrer ou bien s’envoler
Thibaut Garcia emmènera également son public dans ce script romantique avec la célèbre « Catedral » d’Agustin Barrios Mangoré (1885-1944) dont les trois mouvements finement ciselés nous entraînent vers ces hauteurs où résonnent les cloches avant de redescendre jusqu’au chœur puis hors de la cathédrale, vers l’agitation de la ville (« Allegro solemne »). Un petit chef-d’œuvre à découvrir d’urgence si ce n’est déjà fait. Tjasha Gafner finira par remettre ses chaussures pour conclure « Around the clock », pièce presque modern-jazz de Pearl Chertok (1918-1981) qui sonne comme un roman de Paula Fox : jubilation contenue d’un matin de shopping durant lequel il faut s’acheter une robe pour une soirée qui s’annonce et dont le déroulé gai et orageux nous accompagne jusqu’au « Morning after » ; celui de la Cendrillon des retrouvailles. Romantique encore, ancrée dans l’expérience de la vie réelle. Gafner ne cesse d’ancrer l’émotion dans la terre ferme tandis que Garcia papillonne à distance raisonnable du sol. Ainsi du rappel que l’on réclame et qu’il accepte volontiers, il offre un standard du tango en invitant le public à venir danser. Comme si les fidèles, vraiment, pouvaient s’envoler.
Visuel : © Nicolas Brodard