Le 16 Janvier 2025, au Studio de la Philharmonie de Paris, les pianistes Jean-François Heisser, Jean-Frédéric Neuburger et Charles Heisser nous proposent un programme atypique, associant des œuvres classiques et contemporaines.
Trois pianos à queue sont côte à côte, presque serrés les uns contre les autres. Nous sommes au Studio de la Philharmonie. Si la scène est vaste, la salle elle, ne contient qu’environ deux cents places. Le lieu confère une atmosphère d’intimité à ce concert. Trois pianistes et presque trois générations : Jean- François Heisser, né en 1950, était professeur au Conservatoire de Paris depuis 1986. Il est également soliste et chef d’orchestre, son répertoire est vaste, de la musique romantique aux œuvres contemporaines. Jean-Frédéric Neuburger (né le 29 12 1986) a été l’élève de Jean-François Heisser. Professeur au Conservatoire de Paris depuis 2010, il mène une carrière de pianiste, d’organiste et de compositeur. Charles Heisser, le fils de Jean-François n’a que 26 ans mais a débuté le piano dès l’âge de 5 ans. Il a reçu une formation de pianiste classique et de jazz. Depuis l’enfance, il pratique l’improvisation. Avec beaucoup de talent, ses improvisations sont sensibles, émouvantes, riches, variées.
Le trio nous propose un programme très original avec des œuvres de Mozart et de Bach mais aussi des œuvres contemporaines. Nous entendrons Extension IV de Morton Feldman et T. la création en première mondiale de Jean Frédéric Neuburger. Entre chaque œuvre, un intermède improvisé permet des transitions réussies, d’une danse à l’autre, de la musique atonale au baroque.
Le concert débute par l’ouverture des Maîtres chanteurs de Nuremberg, l’opéra-comique de Richard Wagner, dans une transcription pour piano. Une ouverture en do majeur, joyeuse, mais qui exprime surtout la puissance, la fierté des hommes « arrivés ». La musique est solennelle, puis devient lyrique, romantique. L’opéra est une allégorie musicale de l’opposition entre conservatisme et progressisme, ce qui explique le contraste entre les deux thèmes. Nos trois pianistes donnent une ampleur toute orchestrale à cette musique majestueuse.
Changement d’ambiance radical avec Extension IV de Morton Feldman (1926-1927). Le compositeur a été inspiré par Arnold Schönberg, Edgard Varèse , John Cage. Extension IV est une méditation « sur le fondement de toute pensée musicale, à savoir le temps ». Il n’y a pas de véritable mélodie, mais une ambiance sonore répétitive, toute en nuances. Les accords parfois dissonants, tourmentés sont épars, entrecoupés de silences. Les notes, souvent piquées, paraissent intermittentes, légères, comme suspendues dans le temps. C’est une œuvre difficile, pointilliste qui nécessite une fine coordination entre les pianistes. Elle pourrait être perçue comme une série d’interrogations qui surgissent dans une atmosphère quelque peu irréelle.
Quelques arabesques de Charles Heisser nous conduisent … à Mozart. La fantaisie opus K 608 est aussi une œuvre très originale. Composée en 1791, cette œuvre tardive est dédiée au comte Joseph Deym von Stritez. Il possédait deux orgues mécaniques animés par un mécanisme d’horlogerie . La fantaisie leur était destinée. Elle est jouée à quatre mains, sur un seul piano par J.F. Heisser et J.F. Neuburger. Leurs mains s’entrecroisent adroitement, ils paraissent ne faire qu’un. C’est une œuvre dense, pleine d’énergie mais aussi de tendresse et le spectateur sera touché par la beauté des mélodies de Mozart.
Encore une rupture avec la création de J.F. Neuburger : T., T comme toccata. Les deux pianos sont rejoints par un synthétiseur. L’œuvre se veut rythmée, heurtée. Elle débute comme une déchirure. Le synthétiseur paraît dominer les pianos. Les sons sont mécaniques, grinçants, puis deviennent plus graves, le synthétiseur se rapprochant de l’orgue. Les notes du piano sont aiguës, comme des clochettes aigrelettes. Le rythme s’accélère tel un cheval au galop, puis la violence se déchaîne. La musique devient convulsive, le spectacle hallucinant. J.F Neuburger joue sur son piano avec ses coudes. Il se penche, une main sur le clavier l’autre pour pincer les cordes. Une œuvre spectaculaire…
Le compositeur improvise quelques notes mélodiques avec Charles Heisser pour nous amener jusqu’à J. S. Bach. Son concerto pour trois claviers en ut majeur est aussi une œuvre rare, le plus souvent jouée aux clavecins. Il rappelle les Concertos Brandebourgeois. Malgré l’absence d’orchestre, les trois pianistes nous communiquent l’énergie, la noblesse de la musique de Bach. La rapidité du tempo et la régularité rythmique nous rappelle que ces concertos étaient aussi des danses. Après les aventures atonales, l’auditeur appréciera la sérénité reposante de cette musique. Il pourra en profiter une deuxième fois, le dernier mouvement du concerto sera repris en bis, dans « une autre version » enrichie des géniales improvisations de Charles Heisser. Une excellente façon de clore ce concert totalement original.
Visuel © : JMC