Le 14, 16 et 17 mai 2025 à la Seine musicale, Insula orchestra et le chœur Accentus interprètent, sous la direction de Laurence Equilbey, Le Paradis et la Péri de Robert Schumann, dans une mise en scène de Daniela Kerck enrichie par les vidéos d’Astrid Steiner.
Nous sommes en 1843, Robert Schumann aspire à composer un opéra. Son oratorio profane Le Paradis et la Péri est comme « une préfiguration de ce désir ». Une œuvre très innovante, inspirée par une légende persane, qui sera un succès, mieux un chef d’œuvre. Fille d’un ange déchu et d’un mortel, Péri tente d’accéder au paradis dont elle a été exclue car, impure. Pour cela, elle doit offrir au ciel un don d’une pureté parfaite. Sa quête va conduire Péri au Cachemire, en Égypte, en Syrie…
Insula orchestra joue sur des instruments d’époque. Ce choix assure un bon équilibre entre l’orchestre, les chœurs et les solistes. L’auditeur remarquera la « rondeur » du son des bois et des cuivres. Car il assiste aussi ce soir à un concert symphonique. Le rôle primordial de l’orchestre se révèle lorsqu’il joue seul une mélodie très romantique, juste avant la première apparition de Péri, lorsqu’il révèle par ses accords martelés la violence du tyran Gazna, ou lorsqu’il déploie toute sa puissance pour célébrer le triomphe de Péri. Mais aussi lors du solo de contrebasses qui accompagne son chant de douleur.
Le Paradis et la Péri laisse une large place aux chœurs (douze au total). Les choristes d’Accentus s’intègrent totalement à la mise en scène et dialoguent harmonieusement avec les solistes. L’auditeur remarquera la délicatesse et la beauté « du chant d’amour au disparu », chanté à capela par Acccentus ou la grandeur du chant final,véritable hymne céleste.
La cantatrice Mandy Fredrich incarne Péri. La beauté de sa voix de soprano, chaleureuse, suave apparaît dès le début lorsqu’elle pleure le paradis perdu. Elle va nous transmettre sa compassion pour les victimes du tyran Gazna ou de la peste, son désespoir après le refus de son deuxième don, son allégresse lorsqu’enfin les portes du paradis lui sont enfin ouvertes. La narration a une place primordiale dans cet oratorio. Parmi les narrateurs, le baryton Samuel Hasselhorn nous séduit par sa voix profonde. Celle du ténor Sebastian Kohlhepp nous envoûte, il raconte les merveilles de l’Égypte comme dans un lieder. Et puis il y a l’ange, Victoire Bunel. Sa voix va nous enchanter, mais sa frêle silhouette ailée et noire nous impressionne aussi par son intransigeance, son inflexibilité lorsqu’elle laisse obstinément close la porte du paradis. Jusqu’à son sublime sourire lorsqu’elle accepte l’ultime don de Péri.
Du noir de la scène et des rideaux émerge un curieux objet blanc. A sa forme on devine un piano blanc, en partie immergé dans la terre noire. Les narrateurs sont vêtus de noir, les choristes portent des vêtements blancs écrus, la robe de Péri est d’un blanc éclatant. Un monde en noir et blanc pour une mise en scène dépouillée qui donne à cette légende une dimension morale, philosophique. Daniela Kerck a multiplié les symboles. Les humains traînent, comme leurs tristes sorts, d’encombrants balluchons. Péri n’a qu’une seule aile, témoignant de son incomplétude. Les draps ensanglantés tiennent une grande place, symboles de courage et de résistance à la tyrannie. Péri brandit ce drap taché de la dernière goutte de sang du héros. Sa posture évoque La liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix. Tous ces draps souillés sont enfouis dans un sac noir, trace indélébile des crimes de Gazna, qui sera déposé à ses pieds avant son repentir.
Les vidéos d’Astrid Steiner apportent une dimension onirique, fantastique au spectacle. Le spectateur découvre un jardin magique, le lac du Cachemire et ses fleurs flottantes, puis les rives du Nil. Il va s’interroger sur d’étranges créatures aquatiques paraissant flotter en apesanteur. Mais les projections sont parfois plus inquiétantes : un linceul de neige semble recouvrir les victimes de la tyrannie, de lourds nuages noirs puis des vols d’oiseaux annoncent la peste qui va s’abattre sur l’Égypte. Les projections nous font aussi rentrer avec Péri dans le temple du soleil, là où elle va trouver le salut.
Le livret de son ami Emil Flechsig s’est inspiré du poème épique Lalla-Rookh de Thomas Moore. Le texte est projeté en français sur un écran de surtitrage en front de scène. Il est très imagé, très poétique, donnant une dimension littéraire à l’oratorio. Il décrit ainsi la Syrie comme « le pays des roses au soleil couchant dominé par le mont Liban enneigé ». Nous sommes conviés dans un orient idéalisé, très en vogue au 19ème siècle. Pour Daniela Kerck le narrateur est le double du compositeur. L’œuvre renvoie à la vie de Robert Schumann qui, confronté à ses démons intérieurs recherchait lumière et délivrance. En associant la mythologie persane, le romantisme allemand et le message évangélique elle acquiert une dimension universelle. Le dénouement reste très « biblique ». Le courage face à la tyrannie, le sacrifice de sa vie par amour ne suffiront pas. Le repentir d’un criminel sera le don suprême mais la rédemption qui ouvre les portes du ciel à Péri doit venir de Dieu.
Nous avons assisté à un spectacle très réussi sur le plan esthétique, très séduisant sur le plan musical et visuel. Ce conte moral pose cette question imminemment personnelle: quelle pourrait être une voie de rédemption dans notre monde contemporain.
Visuel: Le Paradis et la Péri, Insula orchestra, Laurence Equilbey (direction), Daniéla Lerck (mise en scène), Astrid Steiner (vidéos), © Julien Benhamou