Une soirée fort agréable dans la salle des concerts de la Cité de la musique nous a permis d’écouter de véritables petits joyaux musicaux illustrés chacun par un tableau, sous le signe des femmes artistes.
Pour sa cinquième saison, la Boite à pépites (Elles Women Composers) s’est associée au Musée d’Orsay pour offrir vingt-cinq petites miniatures présentant conjointement une compositrice et l’une de ses œuvres, lyrique ou instrumentale, et une artiste peintre exposée dans l’ancienne gare de Paris.
C’est d’ailleurs la fonction désaffectée du lieu qui permet cette présentation originale que l’on doit à Pierre Créac’h (dessins) et Théodore Marle (animation), où l’on voit l’une descendre d’un petit train bleu qui entre en gare, tandis que l’autre apparait au travers de l’une de ses toiles, quand les quais deviennent galerie et que les belles sculptures en marbre blanc du musée remplacent les rails de l’ancienne station de chemins de fer.
Musique et peinture s’associent au travers du thème choisi et dominent les périodes de la fin du dix-neuvième et du vingtième siècle, riches en créations artistiques de tout genre.
Particulièrement réussi, le concept du « Jardin féérique » nous emmène littéralement en voyage au travers de ces presque inconnues qui eurent tant de talent et de nombreuses récompenses, et qui n’ont pas été, pour la plupart, reconnues à leur juste valeur durant les décennies où la musique classique fut dominée par le genre masculin en quasi-exclusivité.
On le sait, il fallut du temps pour que les orchestres classiques soient mixtes, encore davantage d’années (et de combats des pionnières) pour que des « cheffes » d’orchestre s’imposent dans le landernau masculin des postes musicaux les plus prestigieux.
A présent, il s’agit de composition et, comme le souligne Héloïse Luzzati dans sa présentation : « Si je demande à une assemblée de me citer cinq noms de compositeurs, les réponses vont fuser. S’il agit de cinq noms de compositrices, ce sera beaucoup plus difficile d’obtenir une réponse complète ».
En cinq saisons, l’équipe de Elles Women Composers a déniché et présenté chaque début de mois de décembre, pas moins de vingt-cinq compositrices différentes, en sélectionnant soigneusement chaque « élue » après avoir été recherché et déchiffré des partitions généralement oubliées sur les étages des bibliothèques, voire encore à l’état de manuscrits jamais édités. Fascinant travail qui mérite d’être souligné à sa juste valeur.
On préfèrera telle ou telle dans ce véritable foisonnement, on aura des coups de cœur aussi d’ailleurs, on guettera celles qui ont même composé des…opéras, le genre suprême de la composition musicale, et on espérera qu’un jour, les plus grandes de leurs œuvres seront données sur scène, car la musique est un art qui se joue et s’écoute en salle.
Les quelques enregistrements qu’a déjà réalisé le label « la Boite à Pépites » réhabilitent les plus prolifiques des compositrices, mais il reste bien du chemin pour leur donner à toutes, toute la lumière qu’elles méritent.
Pour cette soirée ce sont trente-sept artistes qui se produiront sur scène, instrumentistes et chanteurs, pour redonner vie à ces belles compositions. Les voix que nous aurons le plaisir d’entendre sont celles de grands artistes de l’art lyrique, les sopranos Marie-Laure Garnier et Agathe Peyrat, les mezzo-sopranos Karine Deshayes, Delphine Haidan, Marielou Jacquard et Fiona McGown et la basse Edwin Crossley-Mercer.
Trente-sept artistes au service de vingt-cinq compositrices et de vingt-cinq tableaux d’artistes peintres femmes, tout un programme ! Parmi les instrumentistes nous avons naturellement Héloïse Luzzati, violoncellistes et Celia Oneso Bensaid, pianiste, que nous avons eu l’occasion d’interviewer, la première à propos du festival Un temps pour elles, et la deuxième à l’occasion de la sortie de son album contenant le concerto d’une autre compositrice oubliée, Marie Jael.
Chacun des courts récits de ces merveilleuses compositrices si souvent méconnues, illustre très bien l’injustice qui leur a été faite : elles sont élèves brillantes, excellentes instrumentistes, compositrices précoces, et trop souvent bridées dans leur carrière de compositrice malgré les récompenses dont elles sont gratifiées.
Elles sont également rarement éditées, encore moins enregistrées ce qui conduit à la disparition de leurs œuvres une fois qu’elles ne sont plus jouées en concert, souvent par elles-mêmes ou leurs proches.
Le concert est introduit par la mystérieuse Desdémone de Mel Bonis (1858-1937), courte pièce de piano qui rend hommage à l’une de ces héroïnes du théâtre et de l’opéra assassinées par un mari violent.
Ensuite nous irons de Jean Coultard à Marthe Grumbach, en passant par Anna Teichmüller, Marie Dare, Louise Héritte-Viardot (la fille de Pauline Viardot), Rebecca Clarke, Vítězslava Kaprálová, Isabelle Delâge-Prat et quelques autres, avec également une incursion dans la variété des auteurs-compositeurs (qu’il faudrait décliner au féminin) et la célèbre chanson féministe d’Anne Sylvestre (1934-2020), « la faute à Eve ».
Sans citer toutes les pépites (formidables) que dévoilait ce concert et que l’on peut retrouver sur la chaine YouTube des fondatrices, nous donnerons quelques indications de nos coups de coeur.
Nous avons ainsi tout particulièrement apprécié la joyeuse et espiègle « sérénade des oiseaux » de Yvonne Desportes (1907-1993), sautillante et gaie, sublimement interprétée par le hautbois d’Alexandre Gattet et le piano de Celia Oneto Bensaid, avec ses descentes chromatiques vertigineuses et ses trilles pépillantes (associée au beau « portrait de la colombe » de Marie Lanrencin). Yvonne Desportes a composé plusieurs opéras à découvrir également !
D’autres ont retenu notre attention comme Henriette Puig-Roget (1910-1992) qui compose cette « Chinoiserie » à 16 ans, qui voulait étudier la direction d’orchestre, alors interdite aux femmes, créé les préludes de son « ami » Olivier Messiaen et succède à Nadia Boulanger comme professeur d’accompagnement. La superbe voix de la soprano Marie-Laure Garnier honore ce beau poème mis en musique accompagnée par le beau quatuor Magenta et c’est l’un des moments magiques de la soirée à l’ombre du tableau de Georgiana Berkeley.
Mathilde Kralik (1857-1944) est également emblématique de ce long oubli : elle composa plus de 200 œuvres dont des opéras, participa aux « soirées des femmes qui composent » avec Alma Mahler, et pourtant qui la connait aujourd’hui ? Sa Phantasie pour piano, violon et voix a été écrite en 1928, pour célébrer la beauté d’un jardin ensoleillé, là aussi la très belle mélodie valorisée par la douce voix de Fiona McGown, accompagnée par Manon Galy au violon et Antoine de Grolée au piano, est très évocatrice des qualités musicales et artistiques de la jeune femme.
Et nous soulignerons aussi la beauté de cet extrait Hommage à l’automne de la « Suite sylvestre » de Fred de Faye-Jozin (1871-1941), écrite pour quatre violoncelles et un piano,
Marcelle Soulage (1894-1070) avait parfaitement conscience de l’ostracisme dont souffraient les compositrices de « l’âpre lutte » qu’elles avaient à mener et elle fonde avec la violoncelliste Adèle Clément, le « groupe instrumental féminin » avec lequel elles donneront 200 concerts. Cette Légende, œuvre pour musique de chambre est l’une des facettes de son talent, avec Alexandre Gattet, hautbois Anastasie Lefebvre de Rieux, flûte Constance Luzzati, harpe, l’ensemble dédié à Lily Laskine, est un superbe ensemble mélancolique qui évoque le tableau « Paysage de montagne » de Rosa Bonheur qui l’accompagne, un moment de repos face à la grandeur immuable de la nature.
Sans oublier la plus célèbre des compositrices citées, Jeanne Leleu (1898-1970), qui créa « Ma mère l’Oye » de Maurice Ravel alors qu’elle était encore enfant et à qui quelques misogynes reprochèrent d’écrire de la « musique de femme ». Troisième femme titulaire du prix de Rome, elle a été littéralement réhabilitée par le travail de Elles women composers avec Charlotte Sohy et Rita Strohl. Les enregistrements du label « La boite à Pépites », a déjà permis la publication d’un premier volume de ses œuvres, consacré à sa musique de chambre et à ses mélodies. Et c’est un extrait (L’arbre plein de chants) de son œuvre « Transparences » écrite à l’origine pour orchestre dont elle a fait une version à quatre mains, qui nous était proposée avec les doigts magiques de David Kadouche et Marie-Josèphe Jude.
La soirée se termine après deux heures sans entracte, où les artistes montent sur scène sans interruption, avec une fluidité remarquable, tandis que Héloïse Luzzati passe de la brillante présentation à son pupitre de violoncelle. Et c’est le très beau La nuit est toute bleue de Marthe Grumbach (1877-1932), chanté par toutes les voix qui conclut ce beau concert. A l’année prochaine !
Le Jardin Féérique, cinquième saison du calendrier de l’Avent de La Boite à Pépites (Elles Women composers)
Programme complet ici
Visuels : © La Boite à pépites, Philharmonie de Paris.