Après une soirée d’ouverture riche en émotion, les festivaliers ont mis le cap sur Maurice Ravel dont Jean-Efflam Bavouzet a présenté l’intégrale pour piano.
La surprise a été 100% valaisienne, savante et populaire, ancrée dans le territoire si l’on peut dire. Le chœur Oberwalliser Vokalensemble, deux fois champion en Suisse, a décliné un programme enchanteur agrégeant chants paysans et pages plus écrites de compositeurs du cru, parvenant à faire sentir au public combien ce folklore façonnant les rythmes de l’existence peut synthétiser à la fois la recherche mélodique et la densité émotionnelle ; des chants de travail se mêlant à l’affirmation d’une foi juste et simple, à hauteur d’homme, magnifique dans le traditionnel S’isch äbe n’e Mönsch uf ärde (arrangement Carl Munziger) et presque malicieux dans la danse des bergers anniviards (Ai-na-na). Une jolie déclaration d’amour à l’ordinaire de la musique, au potentiel immense que l’on peut en extraire dans les compositions d’aujourd’hui, et dans ce vivre ensemble qu’a su incarner le chœur, terminant son programme installé parmi le public. Bienvenue au Verbier Festival.
Dès le lendemain, on entre dans le vif du sujet avec un programme Ravel en deux belles sessions de piano, à l’église de Verbier. Jean-Efflam Bavouzet qui en a gravé l’intégrale il y a quelques années, vient tout juste d’en réenregistrer les pièces. À la limite, on ne peut plus dire qu’il joue Ravel, mais plutôt que Ravel est en lui. On peut même se dire que les deux musiciens ne sont pas loin de se ressembler, physiquement. On écoute donc, religieusement, ces notes qui se répandent comme les gouttes de pluie que décrit le principe d’Archimède (parfait sur le papier, la partition). Des gouttes qui se fragmentent en millier de particules discontinues, faisant partout résonner des timbres inquiets et pourtant généreux. On les écoute encore glisser dans des pièces plus complexes, où le piano ravélien se met en ordre de bataille, abandonnant cette course sur l’eau dont la tonicité fait sa marque de fabrique (tels des personnages de dessin animé qui semblent courir sur l’eau, allegretto). Nous voici dans ces phrasés de notes où luttent les musiques du XIXe et du XXe siècle. Audace et inquiétude de longues vagues et de montées d’eau où perdu sur une coquille de noix, on s’accroche à ces petits pincements qui ponctuent la musique du maître. Un serré-relâché permanent qui hésite entre le désir d’amplitude et la secrète volonté de retenir et même d’écorcher (les valses bien sûr).
La machine fume, mélange d’eau et de feu, mais elle poursuit sa route. Pour l’anecdote, on pourrait dire que la musique de Ravel ressemble à la boite à vitesse (rythmique) d’une automobile de son époque, un rêve de fluidité tourmenté par des contraintes mécaniques qui pleuvent parfois sur la conduite que nous impose le compositeur, à la fois rapide et entravée, comme si la glissade mélodique qui s’épanche horizontale était retenue par une sentimentalité froide, mais lyrique … cultivée en secret. Tout, bien sûr, est question d’équilibre. Comme le confie Bavouzet, chez Ravel, les tempis sont parfaits, « jouez moins vite, le passage devient ennuyeux ; plus vite, il semble hystérique ! » Dans cette course contre-la-montre en forme de marathon (tellement conforme à l’esprit du compositeur), nous retenons tout particulièrement deux moments de grâce avec la belle construction de la « Sonatine » exécutée en début de second programme et les variations à la fraîche des « Jeux d’eau » où se dénoue la tension ravélienne, que la «Pavane pour l’infante défunte » portera ici au sommet, Bavouzet restituant dans un souffle apaisé le cœur de l’œuvre ; lorsque Ravel laisse temporairement de côté ses recherches performatives pour simplement écrire son tube de l’été.
Jean-Efflam exécutera le concerto pour piano et orchestre en sol majeur de Ravel le dimanche 20 juillet à 15h00, salle des Combins, accompagné par le Verbier Festival Junior Orchestra
Visuel : ©Nicolas Brodard