L’équipe bigarrée du cabaret parisien a proposé un show décapant de près de 3h dans l’amphithéâtre d’Ô. Entre talents, tendresse et vulgarité assumée. Une soirée de total plaisir !
Il y a quelques endroits à Paris qui, depuis quelques années, font souffler un vent nouveau sur le monde du cabaret transformiste, à commencer par la plus ancienne et vénérable (quoi que…) Madame Arthur (fondée en 1946 et largement revisitée en 2015 avec sa fusion avec le divan du monde). Le secret (« Cabaret au bon goût d’autre chose… ») s’inscrit dans la même veine et, d’ailleurs, une partie de l’équipe (à l’instar de Monsieur K., grand ordonnateur des cérémonies) est passée par Madame Arthur. On retrouvait donc toute cette belle faune samedi 8 juin sur la scène de l’amphithéâtre d’Ô dans le cadre du festival Printemps des comédiens, un festival qui, décidément, nous réserve quelques belles surprises.
Lorsque l’on pénètre sur les gradins, à la sortie du spectacle de Wajdi Mouawad – qui évoluait, disons-le, dans une tout autre atmosphère -, la scène de l’amphithéâtre est particulièrement encombrée ; par la scène, par les « loges » des artistes dont les métamorphoses se feront à vue, par quelques tables et par le public invité à venir se servir au bar (y compris pendant le spectacle). En tous cas, « mesdames et messieurs », selon la formule consacrée, nous nous apprêtons à entrer là dans cet univers de cabaret qui, lorsqu’il s’appuie sur des grands talents, est l’un des mondes les plus jouissifs qui soient.
Alors, bien sûr, s’il y a unité de l’intention (faire « la fête » à tout ce qui est chantant et corporel), il n’y a guère, dans ce spectacle, de linéarité et de cohérence. Mais comment faire autrement lorsque l’on dispose d’artistes si différents apportant, chacun, leur individualité et, finalement, leur once d’enchantement propre ? C’est, au contraire, l’alchimie résultant de l’éventail des talents, et par-là même d’un effet de surprise permanent, qui nourrit la magie d’une soirée où seront présents la tradition toujours renouvelée du transformisme, des numéros de cirque et même, du fakirisme, une discipline un peu tombée en désuétude, teinté ici d’une part de « burlesque » façon Dita Von Teese par Lalla Morte et Satomi qui quittait ce soir, la scène.
La règle du cabaret, c’est un jeu sur le genre, sur les fusions féminin-masculin, sur les tenues extravagantes, les plumes, le strass et les paillettes, tous artifices qui font du bien en ces temps de repli et de parole homophobe de l’extrême-droite. Mais, si l’on ne veut pas tomber dans un gentil spectacle de patronage d’humoristes en robes, l’un des fondamentaux dans le cabaret doit être la qualité globale. Car au-delà de faire rire ou d’émouvoir, si l’on prétend monter sur une scène pour le faire en musique, il faut avoir les armes pour. De toute évidence, au « secret », tout s’appuie sur une pratique musicale d’exception, tant du côté des musiciens, extraordinaires (Tony Blanquette (piano), L’Oiseau joli (accordéon) et La Baronne du Bronx (violon)), que de celui des chanteurs.
Alors , vu la richesse du spectacle et sans exclure aucun des artistes (sans conteste tous excellents), l’on peut essayer de citer quelques-uns des bijoux de ce spectacle qui s’inscrit dans la grande tradition de l’imitation ou de la réinterprétation irrévérencieuse, avec une reprise délirante de « La foule » par une Édith Piaf sortie de sa tombe (David noir), une Candy catapultée des années 80 et bien abimée (Corrine), une ré-orchestration très sex de « Satisfaction » des Rolling Stones par une Baronne du Bronx dont le violon est une arme de guerre aussi rock que baroque, un « Anti-social » de Trust par Patachtouille. En matière de magie lyrique live, il aura aussi la voix fabuleuse de Bouche du Rhône qui, après un résumé inattendu de la Salomé d’Oscar Wilde, aura repris « Bad Romance » de Lady Gaga.
Du côté de la tendresse parfois « bizarre », ce sera plutôt Paquita Maria Sanchez suspendu.e à ses tissus en chantant « la mort attend », L’Oiseau joli s’accompagnant lui-même à l’accordéon dans « La symphonie des éclairs », une extraordinaire version de « On ne meurt plus d’amour » par Robi et le reste de l’équipe et une version aussi inquiétante qu’émouvante de « L’enfant et l’oiseau » de Marie Myriam (L’Oiseau joli et David Noir).
Qui dit cabaret, dit aussi basiques des cultures LGBTQIA+, ce qui sera fait la reprise de tubes de l’icône gay, Mylène Farmer, par Monsieur K. Il y a aussi eu des moments collectifs en début et fin de chaque partie. Et, en fin de spectacle, l’irruption d’une religieuse trash dont la parenté avec les sœurs de la perpétuelle indulgence est évidente, avec la Big Bertha que l’on avait découvert.e dans la saison 1 du Ru Paul drag race version française.
Dans le programme de la soirée, Jérôme Marin (alias Monsieur K.) affirme « Je revendique la bienveillance ». Derrière une part assumée de provocation et une vulgarité qui fait du bien, c’est indéniablement ce que l’on a ressenti, entre les artistes d’une part, et avec le public, d’autre part. Le secret donnera sa dernière représentation le 21 juin au théâtre de l’atelier. On y court. Et on espère très très très fort qu’il y aura une suite…