« L’Archipel des murmures » : au Lavoir Moderne Parisien, un voyage sonore pour (re)définir la musique

L’Ensemble Les Illuminations, c’est d’abord un ensemble à géométrie variable qui réunit pour chaque projet des musicien.nes  d’horizons différent.e.s. et dont le noyau fixe n’est autre que sa directrice artistique, Aurélie Allexandre d’Albronn.

A l’occasion de L’Archipel des murmures–Vera vita viva ! , 5 musicien.nes, invitent le public à (re)découvrir des compositrices oubliées de l’histoire. Un violon, un accordéon, un alto, un clavecin et un violoncelle.

Vera vita viva ! est une création commandée par l’ensemble à la compositrice suisse Claire-Mélanie Sinnhuber. La musique de la compositrice rencontre les mots de l’écrivain Pascal Quignard (Prix Goncourt 2002). En 1996, l’écrivain publie La Haine de la musique. Dans ce livre,  il explore la musique comme expérience ambivalente — à la fois sublime et violente. La plume de l’auteur dialoguera ici avec les grandes compositrices « d’hier et aujourd’hui », d’Élisabeth Jacquet de la Guerre, Kaija Saariaho à Sofia Goubaïdoulina en passant par Ethel Smyth.

Un lieu chargé d’histoire

Qui pénètre au Lavoir Moderne parisien ne peut songer à toute l’histoire que l’établissement renferme. Un lieu indissociable de la fille qu’il a vue naître, la peintresse Apolonia. Apolonia, Apolonia, c’est le titre du documentaire de la réalisatrice danoise Léa Glob, qui a filmé pendant 13 ans Apolonia Sokol. Un film saisissant à retrouver (absolument) sur Arte. Le père de la peintre, Hervé Breuil, n’est autre que le fondateur du Lavoir Moderne Parisien, le théâtre emblématique au cœur du quartier de Château Rouge. Après une enfance précaire entre le 18^ème arrondissement de Paris et le Danemark, Apolonia retourne vivre au Lavoir à 22 ans. Elle y accueillera de nombreux artistes et activistes dont le groupe féministe ukrainien, les Femen, et sa légendaire fondatrice Oksana Chatchko. Apolonia remuera ciel et terre pour sauver son théâtre, au bord de la faillite.

Sur la devanture du 35 rue Léon, on peut lire « Madame la Ministre de la culture, protégez le théâtre ». Des mots peints par Hervé Breuil lui-même.

Jouer au Lavoir Moderne Parisien, c’est faire corps avec un lieu qui respire la culture et qui a tenté coûte que coûte de la protéger, c’est poursuivre l’œuvre et s’engager avec toustes les artistes qui ont abrité ses murs.

Un violoncelle qui domine

Si, comme le dit Aurélie Allexandre d’Albronn, « au fil du concert, chaque instrument est mis en lumière – en solo, en duo, en trio – avant de rejoindre l’ensemble complet » c’est pourtant bien son instrument, le violoncelle, qui domine la petite scène du Lavoir Moderne Parisien.

Au milieu du groupe et dos au clavecin, l’autrice et musicienne fait grincer son instrument de façon virtuose. On pleure ou l’on s’émerveille au rythme des notes du violoncelle que la directrice artistique maîtrise à merveille. Elle gratte ses cordes, elle les tire, elle les pince. Le violoncelle apparaît comme un prolongement d’elle-même.

Une femme donc sur le devant de la scène, à l’image de l’hommage que rend L’Archipel aux compositrices des siècles passés et du nôtre.

Vera vita viva !

Vera vita viva ! littéralement – La vraie vie vive ! – est l’expression juste pour cette performance scénique. Une balade musicale, pleine d’intempérie, que le spectateur traverse avec émotions. Quand vient le temps de la tempête les instruments à cordes s’échauffent, l’accordéon grogne et le clavecin s’agite. Les visages des interprètes se durcissent : les sourcils se froncent et une moue boudeuse déforme leurs lèvres. Une combinaison d’instruments très variée et inhabituelle pour un ensemble classique. C’est-à-dire un trio à cordes enrichi d’un clavecin « ancré dans le baroque » et d’un accordéon « à la frontière du profane ». Bien sûr, c’est le dernier instrument qui est le moins attendu. L’accordéon, aussi appelé « piano à bretelles », est associé à la musique populaire. L’instrument phare des bals populaires et de musettes. Un instrument, surprend dans cet ensemble classique mais qui se fond complètement à la composition et apporte une intensité essentielle à ce voyage sonore. Notamment grâce à la virtuosité de celui qui remporta à 17 ans le prestigieux Concours international d’accordéon de Klingenthal, Jonas  Vozbutas. « La musique n’éteint pas l’orage, elle est l’orage » déclare la violoniste. Des mots à l’image de la pensée de Pascal Quignard qui décrit la musique comme une force dangereuse à la « séduction vertigineuse ». Un orage que les musicien.nes armé.es de leurs instruments ont réussi à transmettre au public.

Quand vient le temps du printemps, les instruments s’apaisent, tout comme le visage des concertistes. Les spectateur.rices détendent leurs mâchoires et s’enthousiasment à la mesure des accords. « L’homme et la femme ne sont pas faits pour s’entendre, la musique est faite pour s’entendre » balance la violoncelliste au public, droit dans les yeux. Ici la mélodie raconte tout. Les mots lus par les instrumentistes, qui deviennent alors interprètes, ne viennent qu’affirmer ce que les sons disent déjà. Chacun joue avec son instrument de façon ludique et étonnante, le violoncelle s’apparente parfois à une guitare, le pianiste avec une plume vient chatouiller les cordes de son clavecin. Le clavecin émet alors des sons proches du  xylophone. Un son singulier, qui vient rythmer les instruments à cordes. Tantôt il caresse les cordes, tantôt il transforme le clavecin en percussion, en tapant de son poing la caisse du clavecin baroque.

L’Archipel des murmures, au Lavoir Moderne Parisien, propose un voyage sonore et littéraire bouleversant qui tente au travers des mots de (re)définir la musique. Un texte un peu ampoulé, qui certes anime la performance, mais qui résonne moins dans les imaginaires que les saisissants instruments aux mains d’interprètes brillants.