En cet avant-dernier jour, deux concerts, de la danse et une guinguette accueillaient à la ferme de Villefavard le public du Festival du Haut-Limousin. Alors que la ferme est devenue Centre culturel de rencontre, c’est effectivement sans transition que nous sommes passés du baroque des Surprises à de la poésie amérindienne et à la langue poitevine du trio Ciac Boum. Le tout, dans la grange extraordinaire de la ferme s’adossant aux champs de pâturages de la région comme 4e mur…
À 18 heures, ce premier août, le public du Festival avait rendez-vous à la guinguette. Et c’est le deuxième été que la ferme de Villefavard propose de donner une place à la poésie, dans le cadre d’un partenariat avec les éditions Rougerie. Sur le flanc du Centre culturel de rencontre, adossé aux anciennes étables où l’on peut voir l’exposition Les ferrailles, sculptées à partir de machines agricoles par Pierre Bergougnoux, la guinguette servait des verres et avait déjà enregistré les commandes d’assiettes de produits locaux de ceux et celles qui prévoyaient d’y dîner. Des bancs en bois et des transats ont été mis en place autour de deux lecteurs : le poète Pierre Bacle et l’éditeur Olivier Rougerie. Présentés par Alexis Mazade, le directeur de l’action culturelle, ils ont lu des poèmes de l’écrivaine, artiste et universitaire américaine Anita Endrezze. Née en 1952, elle a publié de nombreux livres, dont des poèmes en français publiés dès 1993 par les éditions Rougerie. Le public a pu découvrir ses images fortes, inspirées par ses origines (notamment Yaqui) aux côtés d’autres écrivains amérindiens. Et c’est accompagné par la guitare et le blues de l’Anglais qui a adopté le Limousin, Curtis Simmons, que ces textes ont été partagés.
Traverser la place centrale de la ferme et ses poissons merveilleux nous a permis de passer d’une langue minoritaire à une autre, tout aussi librement et fortement exprimée : c’est en poitevin que Julien Padovani, ainsi que Christian et Alban Pacher s’expriment pour le trio Ciac Boum et c’est dans cette langue que sont les chants très divers mais tous inspirés par les « vieux gens » simples des fermes avec leurs violons. Ces gens simples que le père de Christian Pacher allait visiter avec sa famille en 404 pour entendre leurs témoignages peu assurés : ils n’imaginaient pas que leurs sons étaient de la musique et on leur a aussi pris leur langue pour leur imposer le français, l’agriculture extensive et le capitalisme, nous dit Christian Pacher. Lui qui a appris le poitevin à leur contact, nous parle à nous aussi dans « sa langue » et chante avec ferveur avec ses deux camarades « No pasarán » dans leur titre « Mille et cent ».
Comme la veille, au Dorat, la scénographie est époustouflante. Il fait jour quand nous prenons place dans l’auditorium extraordinaire sculpté dans le bois et la pierre de l’ancienne grange. Une scène est devant nous, pour ceux et celles qui souhaitent danser et le trio prend place devant l’un des deux clochers de la ferme et le ciel. Une légère lumière bleue accompagne les musiciens et se fait plus présente à mesure que la nuit tombe.
Très réputés en France et en Europe pour leurs performances extrêmement vivantes dans les foires ou les bals, les Ciac Boum semblent aussi apprécier cette possibilité à Villefavard de se poser, se tenir devant le public et être écoutés. Ils se permettent des ballades et des complaintes (notamment une très belle chanson sur un jeune homme qui refuse de se marier) et l’accordéoniste Julien Padovani s’assied volontiers devant le magnifique piano de l’auditorium. On sent que pour certains et certaines membres du public, il est difficile de ne pas danser, ce qui finit bien sûr par arriver, en tout cas pour qui connaît les pas traditionnels, au détour notamment d’une mazurka endiablée… Les rythmes se succèdent et ne se ressemblent pas avec des moments de cordes pincées extrêmement traditionnels et des accents beaucoup plus expérimentaux. Restent plusieurs constantes : faire entendre en poitevin la voix des paysans, ceux des Deux-Sèvres mais aussi de la Gâtine et aussi de ce Haut-Limousin aux terres moins riches et donc dédiées aux pâturages. Le tout avec une précision géographique, un perfectionnisme musical, une direction de danseurs au cordeau qui servent le souci permanent et criant de faire entendre des voix jusqu’ici réduites au silence. Jusqu’à celles des épouvantails (« Épourall », en poitevin) qui subsistent comme des résistants dans les champs et que les corbeaux finissent par adopter comme les vestiges d’un ancien temps regretté.
Des minorités amérindiennes aux paysans poitevins, la langue était au cœur de cette journée de festival du Haut-Limousin et le projet de la Ferme de Villefavard était respecté à la lettre et en musique : aborder la ruralité, la culture et l’imaginaire pour faire émerger de nouvelles poétiques de territoire.
visuels (c) YH