La playlist triste mais lumineuse du mois de décembre
par Antoine Couder09.12.2025
Faire une playlist d’accord, mais d’où peut-on prétendre la faire entendre au plus grand nombre ?
Pendant longtemps, il existait des professionnels de la playlist, mais ça c’était avant, avant que Spotify et les autres bouleversent les habitudes d’écoute, atomisant au passage la sage grammaire de la promotion musicale : un single avec un album et puis un concert en attendant le live. Et youp là boom.
Aujourd’hui, l’attention est limitée, la rotation des titres se déroule sous kétamine. Alors peu de règles restent valables sinon celle de l’attention, au sens le plus formel. Juste n’importe quoi d’inattendu, un interlude choisi au hasard – « Metaphor » – super-bref enchaîné à une intro à rebrousse-poil, mais avec plein de réf qui cognent, ici Morricone et consort. Avec en bonus, une synchro avec une série à succès (Killing Eve) « La la la » – Unloved). On démarre avec de l’Augmentin, l’antibio qui ne fait pas de quartier et qui vise large.
L’auditeur a compris qu’il n’était pas dans une playlist Mainstream et c’est un premier tri. Alors, c’est parti, sans trop de risque inutile (déjà que « La la la », c’est un peu longuet …). On veut faire plaisir avec des petites attentions, en rendant hommage. On allume illico cette (magnifique) resucée de DAngelo, disparu récemment. Ceux qui aiment applaudiront, les autres seront fatalement sous le charme. Dans les deux cas, on trace une route dans cette géographie Soul sirupeuse qui justifie à rebours le parfum vénéneux de « La la la » . Oui, oui, tout se tient.
Troisième son, pas moyen cette fois d’échapper à la prise de risque, la nouveauté. On cherche quelque chose d’obscur, mais si possible lumineux, une voix froide et chaude en même temps avec ce fond de guitare austère (the Kill ?) qui revient depuis cet été à fond les ballons (« I could », Fine). On échappe de peu à l’enfilage de perles RnB.
C’est alors le moment crucial du risque de perte de l’attention, ça se joue dès les premières secondes en fait. Des milliers de chansons sont conçues autour de premières secondes qui emballent ou coulent à pic. Ici, on pioche la petite Française sortie de nulle part qui chante dans un italien que l’on pourrait presque traduire seul.e (Pauline Orta, trop chou lorsqu’elle prononce les mots « Marcel Sembat »). Imbattable.
Avec Pauline, on a conservé le lien avec le rock sombre, mais on s’est déporté vers de l’ultra 2025 ; du coup on a envie d’inverser la vapeur avec une voix trophée que l’on ne comprend peut -être pas tout de suite et c’est ça qui est bien, cette attente d’environ 1.12 minute avant de reconnaître le premier album de Björk (1993) qui envoie une bonne dose de rétrofutur dans les dents de la Gén Z. On kiffe avec eux lorsque la star s’époumone en criant « I can feel it … »
Après les chants d’oiseaux (perceptibles distinctement aux casques), on oublie carrément l’idée qu’il faudrait peut-être présenter quand même quelques nouveautés (à l’ère du fake, on en est plus là du tout) pour proposer ce que le marketing musical appelle communément une pépite, soit une session de Stevie Nick (Fleetwood Mac) en studio lors de l’enregistrement de « Rumours ». Magnifique et totalement fou à partir de la minute 2. Et même qu’à la fin, Stevie fait des commentaires.
Allez, on repart en contre-pied, glissant de la super star à la diva libanaise (Yasmine Hamdan, 2025). Vu que vous écoutez en faisant le ménage ou dans le métro, pas de problème de tenue de route thématique, d’autant que nous avons un plan à venir : introduire le dernier Rosalia, à la suite des deux vétérantes, pour « donner du sens à tout ça » et, avouons-le honorer discrètement Sant Cugat del Vallès, la ville de naissance de la petite.
Complètement barrée de kitsch sous légende philharmonique, elle justifie parfaitement la direction branque prise par notre playlist (c’est un plus). Tous ces artistes qui osent sortir des sentiers battus sans peur de déplaire, c’est super, mais ça ne tient pas non plus indéfiniment … On se calme avec de l’underground un peu plus pépère en direction des 30/40 ans (« Unknown potion »), puis des 20/30 (« Not a pretty girl »). Effet Augmentin imparable.
À ce stade, tout est permis dans le genre super-digger. Ici un titre lumineux d’un album culte et oublié des années 80 de ce Garland Jeffreys qui résout à lui tout seul toutes nos inquiétudes historico-raciales (il a vraiment bossé avec tout le monde). Et pour introduire des trésors de la même époque qui nous ramène à notre galerie de voix féminine, le beau « Moving » de l’encore innocente Kate Bush. On doit être en 1978 et l’orchestration maison a durablement fasciné Stevie Nick, et sans doute Rosalia.
Peut-être le moment de lancer notre morceau préféré, sorti en décembre (« Baki » bricolé par une certaine Tuna Boom). Le public appréciera. À cela succède un shot de série TV (Breaking Bad) pour ceux qui ont la ref (« Quimey Neuquėn ») et qui bouscule un peu les hormones (ces trucs qui sont à un endroit de votre corps et qui ont un effet à un autre endroit de votre corps).
On revient aux affaires dans les bris de verre et les talons aiguilles ; surprise again avec le disco clubbing de Patrick Cowley, récemment réédité pour les oreilles de 2025. Un plaisir « décalé » (le synthé, le groove, la pochette du disque !) qui pourrait vous inciter à vous lâcher sur la piste de danse, et à entrer illico ce morceau sur votre playlist (« Shake it up ») . Car on danse cette fois, quand même (« Treat mode »), un peu moins triste, un peu plus lumineux.
Culte, culte, culte ! On a plus que ce mot à la bouche (les fameuses bandes-son de François de Roubaix dans « Les secrets de la mer rouge »), pour mieux faire avaler la promo de notre chouchou (« autoportrait au solitaire », Ritual X) et le balancé du groove (extraits : « virgule matelassée… », « J’aime pas mon cerveau », etc … le disque est super frais … On arrive bientôt à destination avec l’étonnante prière de Dino Brabdão (« Wo chönnt das si ? », chant du crépuscule) et puis notre grand final, encore une fois pioché dans une série (« Absentia ») qui dit qu’un petit nuage passe dans le ciel « trece-un nouras pe sus » ((Surorile Osoianu). On se retrouve en 2026.
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