Je vous écris aujourd’hui pour vous faire part de mes interrogations sur ce que l’on peut valablement qualifier de nouveau. Une nouvelle playlist de la rédaction
Est-ce qu’une fin de face d’un vieil album de Blondie (« The hunter gets captured by the game ») connue de quelques fans irascibles est-elle moins nouvelle que l’un des titres presque choisis au hasard du tout nouveau duo ANOTR qui se prépare à casser la baraque les prochaines semaines ? Qu’est-ce qui est vraiment nouveau Spotify dis-le nous, explique-toi, au-delà des tes agencements d’algorithmes qui font la pluie et le beau temps sur la concrétisation de nos désirs profonds ? Avons-nous plus besoin de cette vibe subtile des empereurs de l’easy listening rythme&blues Khruangbin que de spécialistes des racines de ce son blues folk surfant de loin en loin sur le regard cristallin d’une Beyoncé recuisinant la country américaine ; ici par exemple Hermanos Gutiérrez et son « Mesa Redondaz », les « Red roses » de Richard Houghten ou encore, un quasi original vintage bien inventé « Wanna go back » (Babyidontlikeyou- bien joué Spotify).
Je vous écris parce que la nouveauté musicale est une sorte de boule à facettes dont Spotify est le moteur à piles, et que le marketing de l’attention se défie (forcément) du trouble, et du trouble de l’attention qu’alimentent les pics répétés de la nouveauté. Le flux continu blinde le trouble et verrouille l’attention. Démonstration sans appel avec le dernier morceau du dernier album de Bad Bunny (parce que l’on a entendu la rumeur selon laquelle la fin est ici meilleure que le début ce qui influence l’écoute). « LA MuDANZA » fait bien semblant d’être inattendu avant d’annoncer la tradition à grands coups de beat en forme de marteau-piqueur. Nous revoilà- magnifique- dans ces belles années 1970 sur les pistes de danse latino, du temps où le sida n’existait pas et que l’on pouvait maltraiter les femmes sans avoir l’air d’un criminel. Une chanson , une nouveauté, un monde qui n’existe pas. Idem le « Yaad aa Rha Hai » de Bappi Lahiri dans la compilation « Disco dancer » qui ramène les mêmes ingrédients de l’époque en fricotant du transgenre du côté d’un troublant éthos muslim des pistes de danse. La sidération vaut bien six minutes de déhanchement.
Je vous écris parce que nous sommes tous les mêmes, comme tout le monde nous nous ne faisons que nous préparer au rituel du tube, celui qui est passé par toutes les oreilles, celui qui – comme le service militaire- offre une expérience unique en mélangeant les vécus des fils d’instit et aujourd’hui des filles d’ouvriers. Et pour cela, nous avons apporté quelques offrandes, en commençant par le branding le plus obscur, ce qui en gros signifie le plus branché, le genre de chansonnette que l’on pourrait bien retrouver lors du énième dénouement d’une série populaire et qui emporte tout sur son passage, l’attention, le désir et, avec un peu d’espoir, quelques larmes. La belle Looseuse Angie Stone (she could bigger) se chargera de cette affaire (« Wish I didn’t Miss you »). Un beau morceau un peu compliqué, un peu trop peut-être; beaucoup plus que celui de Lucy Pearl, plus direct dans son choix d’inverser le climax émotionnel ; pour la paix des familles, et du dance floor, l’imparable « Don’ mess with my man ». Mais ces deux gâteries ne font pas évènement, on s’en doute, il s’en passe tellement des pics et des pas mures sur Spotify. Alors on se met en position pour le tube de l’album tube du groupe tube, et d’ailleurs fabriqué par France Tube, Daft tube punk évidemment ; auquel on ajoute ici pour les connoisseurs « Hermes Trismegisto E Sua Celeste Tábua de Esmeralda » du fameux Jorge Ben.
Je vous écris parce que nous nous demandons souvent s’il y a une issue à tout ça, une technique pour gagner la course de la capture de l’attention. Peut-être des remix sauvages qui changent tout le temps de beat (celui de Fcukers « Marmite », par Porij), des chansons sans queue ni tête (« Better » de Joy Orbison et Lea Sen). Nous pensons aussi – nous qui cherchons des formes contemporaines de résistances- qu’un interlude ou un instrumental peut faire l’affaire, d’autant plus s’il est signé par une marque pure, pure et disparue (ici J Dilla). Enfin, nous avions pu imaginer que la cover pouvait nous aider à nous dégager des ornières du flux imposé, qu’elle nous rendrait quelque chose qui nous appartient en narguant l’actualité des jours en la désarticulant (« Whutering Heights » Kassa Overall et Cécile Mc Lorin Salvant), mais nous n’y croyons plus trop et pensons aujourd’hui que la reprise a été reprise en main. Restent quelques imitations lointaines, originales, mais tellement déjà là, obscures, mais néanmoins évidentes : le pitoyable « How bizarre » (OMC) et le navrant hymne afterwork « Darling » (Esbe).
Nous allons maintenant arrêter d’écrire parce qu’on le sait bien, les textes longs et insuffisamment limpides sont rarement lus sur Internet. Et conclure que la notion de nouveauté est bien fuyante sur Internet et dans nos vies, en général tant les souvenirs émotionnels saturent la mémoire vive de notre agentivité hors de prix et pourtant toujours peu efficiente (« Check your face » everyone).
SuperBravo à tous, et « chanson tremblée ».