Troisième opus du devenu duo, à la scène comme à la ville, de Michel Peteau et d’Armelle Pioline, ce nouvel album prélude à une tournée européenne qui commence cet automne et s’achèvera au tout début de l’été.
Est-ce qu’il suffit de le vouloir ? D’acheter un chouette camping-car et de partir sur les routes pour jouer un album fabriqué à quatre mains, dans la tranquillité d’un home studio, puis dans l’urgence de finir, emploi du temps saturé, écriture-minute, instantané des derniers morceaux. Deux d’entre eux sont ainsi écrits dans l’urgence, cette « chanson tremblée » qui raconte « comment on parvient à communiquer malgré tout, avec quelqu’un qui n’est pas forcément sur la même longueur d’onde cognitive », parce qu’on y croit, parce qu’en se reconfigurant soi-même, son désir et sa posture, en suivant d’instinct les signaux qui clignotent, alors tout est possible. « Chanson tremblée » est ainsi un miracle de délicatesse et de gestes délicats, qui titille et finit par faire vibrer la relation.
Une chanson clé d’un album qui tourne autour de l’amour, ne renonçant à rien, et surtout pas à cet imprévisible qui fait dire à George Sand que souvent, il faut que « l’amour se trahisse » pour qu’il puisse s’imposer. Et pour la part de dépendance et d’affliction, de gestes mendiants que cet amour contient — pulsions, sagesse, mystique tout à la fois ou l’un après l’autre — eh bien tant pis, « j’ai vraiment zéro leçon à donner à personne » dit Armelle Pioline, qui a glissé la voix de Marilyn Monroe dans son « Lac d’Oô » (amour toxique, tiens, tiens), la première chanson écrite pour l’album. Elle ajoute pour conclure que oui, le monde dans lequel nous vivons, bien souvent, « empêche les gens d’être dignement amoureux », parce que les amoureux — c’est dommage — ne disposent pas toujours de suffisamment de temps pour l’être, amoureux. On pense au « Temps de l’amour et de l’aventure » et ce n’est pas un hasard puisqu’Armelle sort tout juste d’un spectacle-hommage à Françoise Hardy, qu’elle a pu approfondir pour l’occasion. Et oui, elle confirme : l’amour mendiant, c’est forcément terrible.
Ses textes, elle les écrit et les chante seule, traçant sa route depuis Holden, avec le guitariste Dominique Dépret, alias Mocke, et les premiers feux de SuperBravo avec Julie Gasnier. Cette fois, c’est elle toute seule, la générosité d’une conversation intime à laquelle elle invite à chaque rime, induisant, invitant, ouvrant les portes. Ces textes trouvent leur répondant musical et imaginatif au gré de neuf chansons qui serrent et desserrent le propos chuchoté, dans une sorte d’état modifié de la conscience, souvent matérialisé par un mot, une première phrase — étincelle qui trace des courbes en poussant vers le haut, planant à hauteur raisonnable du bruissement du monde.
« La Digue » nous apparaît aussi comme un disque à deux versants, entrant peu à peu dans un chant plus intime, à partir du « Lac d’Oô », instrumentation lente et digne qui trace une ligne entre une première partie en forme de chansons démonstratives, dépliant une palette paradoxale d’émotions mélodiques a priori toutes simples, mais souvent tenues en arrière-plan par des couleurs et textures sophistiquées. La voix s’épanche, se répand en phrases faussement absconses pour entrer dans une dernière série plus chuchotée (« Faire corps », « Chanson tremblée ») qui nous emmène dans l’intimité du duo, de sa liberté d’expression et de « cette chance encore, d’écrire des chansons pour celui dont on est amoureux ». Chanson sans doute encore mystérieuse pour le principal intéressé, Michel Peteau alias « Cheval fou » du nom de son premier groupe insolite et psyché des années 1970. Celui-ci, en effet, connaît finalement mal les chansons, abordant le texte comme l’ensemble d’un grand tout, les digérant peu à peu, les écoutant finalement bien après nous. Plaisir coupable pour l’auditeur… peut-être. Plaisir supplémentaire, très certainement.
Mais cette tournée alors ? Encore un coup de chance (comme quoi, tout peut arriver, le meilleur comme le pire). « Une chance pour nous de quitter la France et nos zones de confort », explique Armelle Pioline, et voir autre chose que l’horizon des SMAC en saisissant l’opportunité d’être un peu libre, s’en donner les moyens, mais profiter également d’un nouvel âge pour soi, âge des possibles, où les enfants et les parents nous laissent cette fois un peu de répit, et notamment la possibilité de partir sur les routes pendant six mois. Après un séjour en résidence qui a permis de tester une formule de scène, le duo a fortifié son monde en low-fi, en se garantissant la possibilité de jouer et de voyager en restant autonome et maître de ses moyens. Logistique camping-car, matériel très transportable, réduction de la taille des matériels, du nombre de micros, et de la scène, 8 mètres carrés suffisent désormais. « L’identité en devenir de SuperBravo », dit encore Armelle Pioline. Une boîte à outils toute simple que les techniciens son des salles que le duo traversera pourront aisément manier. On y jouera donc cette « Digue », aux tempos minimalistes et amoureux, mais jamais à l’abri de quelques flambées pop, « Elli » qui porte la marque de fabrique de Michel Peteau, ou encore cette « Tangente » ensorcelée par les chœurs de Nina Savary.
Bon voyage.